La fuite

La fuite

29 août 2024 Non Par Paul Rassat

Nous avons déjà évoqué la théorie du ruissellement. Celui-ci prend à l’occasion la forme de la fuite.

La fuite en avant

La fuite en avant  est d’un banal totalement navrant. C’est l’histoire du type qui avance tant qu’un obstacle ne vient pas mettre fin à cette progression qui n’est en réalité qu’une régression afin d’échapper à sa propre ombre. La fuite en avant se termine toujours mal, soit qu’on se retrouve un jour au pied du mur, par définition infranchissable, soit qu’on ait perdu de vue son ombre, ce qui se termine inévitablement en un parcours en circuit fermé, voire en cercle vicieux, menant tout aussi inévitablement à la folie.

En arrière

 La fuite en arrière, ou repli stratégique, demande une complète maîtrise de la marche à reculons. Bien menée, en groupe organisé, elle illustre parfaitement l’idée que les derniers puissent être les premiers et vice versa. Sa dimension religieuse la réserve aux initiés.

La fuite des cerveaux

La fuite dans les idées est, elle, le signe précurseur de la fuite des cerveaux. Le cerveau qui a de la fuite dans les idées demande, en effet, à être colmaté au plus vite ; d’où le recours fréquent aux préjugés, évidences, idées toutes faites pour tenter de maintenir à moindre coût intellectuel un niveau apparemment satisfaisant, car le tout n’est pas de penser par soi-même mais de faire bonne figure. Jusqu’au moment où écoper ne sert plus de rien. Le point de non retour est atteint. Même le botox intellectuel n’agit plus. Le cerveau est définitivement perdu, stérile, irrécupérable. Il se dessèche, laissant à l’intérieur du crâne toute la place à un vide propice à l’action  de l’environnement sociétalo- médiatico-téléréalitudinaire.

Au fond, le vide ne serait –il pas une prédisposition au bonheur ?

Sur le côté

Reste la fuite sur le côté, ce très léger décalage qui définit si bien l’humour. Méfiance cependant, car un trop grand décalage mène à côté de la plaque, situation ô combien stérile pour les professions libérales.

 L’humour serait-il donc réservé aux fonctionnaires ? Peut-être pas, mais ils y sont prédestinés, comme le melon à être mangé en famille pour Bernardin de Saint Pierre. Tout fonctionnaire qui se contenterait de fonctionner ne serait, en effet, qu’un robot mis à volonté en fonction ou au rebut ; l’humour lui confère l’humanité nécessaire à sa propre survie lorsqu’il devient le bouc émissaire d’un capitalisme grippé.

« Le meilleur moyen d’éviter la chute des cheveux c’est de faire un pas de côté »

                                                                                              Groucho Marx                        

 Si la lecture ne vous rebute pas, celle du livre d’Henri Laborit Éloge de la fuite devrait vous intéresser.

Les nouvelles fuites et les anciennes

Parmi les fuites les plus célèbres, citons la fuite en Égypte et celle d’Égypte, l’Exode. La seconde a donné lieu a de nombreuses spéculations. Certains, parmi lesquels des religieux, sont même allés jusqu’à se demander si le miracle de la Mer Rouge s’ouvrant devant les Hébreux n’était pas tout simplement un phénomène dû aux horaires des marées. La fuite urinaire, elle, est à la mode. Un incident au yoga ? Avec Pissezsûr rien n’y paraîtra ! L’allongement de la durée de vie nous fait partir en gouttes avant que nous ne partions en couilles ( d’où nous sortons…)

La fuite rapporte

Le stand up féminin parle volontiers  de toutes sortes de sécrétions tenues jusque-là plus ou moins secrètes. Les règles, régulières, irrégulières, abondantes, douloureuses, liées à tel ou tel type de contraception. Dans un numéro brillant, une stand upiste de passage à Annecy parlait de ses pertes blanches. Difficiles à cacher à un partenaire, surtout qu’elles sont plus jaunes que blanches. Je lui rappelai après son passage sur scène cette blague bien connue : « — Docteur, que faire avec des dents jaunes ? — Portez une cravate marron. » Mais l’humoriste ne comprit pas la blague ; son cerveau en fuite avait déjà quitté la scène et la ville.