La lecture et l’amour. Lire et faire l’amour en reliant

La lecture et l’amour. Lire et faire l’amour en reliant

3 mai 2021 Non Par Paul Rassat

Éloge du mauvais lecteur

Dans Éloge du mauvais lecteur Maxime Decout soutient les vertus de la lecture buissonnière, « …une attention flottante, le saut de pages, la lecture en diagonale voire…le démantèlement de l’ordre du texte. Il est question de lire « le nez en l’air, de lire en tous sens, de bricolage. »

Et de citer Barthes

Ne vous est-il jamais arrivé, lisant un livre, de vous arrêter sans cesse dans votre lecture, non par désintérêt, mais au contraire par un afflux d’idées, d’excitations, d’associations ? En un mot, ne vous est-il jamais arrivé de lire en levant la tête ?…Le texte seul, nous dit-on, mais le texte seul ça n’existe pas…Être avec qui on aime et penser à autre chose : c’est ainsi que j’ai les meilleures pensées. 

Fi de la lecture scolaire

Suivant les circonstances et le regard porté sur la chose, la langue renvoie à des réalités diverses. Faire l’amour, baiser, niquer, coucher, copuler, coïter, foutre, accomplir le devoir conjugal, s’envoyer en l’air…autant de lectures, loin de la fiche scolaire et du devoir, si possible. Il s’agit d’adapter le rythme à l’humeur et à la chose. Chevauchée d’un roman historique, promenade lyrique, dévoration, mâche lorsque la densité de la matière le demande, attouchements ou plongée poétiques. Dans Une histoire de la lecture, Alberto Manguel rappelle qu’autrefois était interdite la lecture solitaire et muette. L’aurait-on considérée comme une forme d’onanisme ?

Lire à pièces décousues

Maxime Decout cite Montaigne

Là, je feuillette à cette heure un livre, à cette heure un autre, sans ordre et sans dessein, à pièces décousues.

Un livre ne vit et ne s’achève qu’à chaque lecture. À chaque nouveau lecteur s’établit un nouvel échange entre l’écrivain, le support, le lecteur, les époques d’écriture et de lecture et les cultures. Une infinité de combinaisons qui créent le lecteur autant que le livre. Naissent ainsi des constellations d’autant plus riches quand une bibliographie dans les dernières pages ouvre à de nouvelles lectures.

Pinocchio lecteur inaccompli

Analysé par Alberto Manguel dans Pinocchio et Robinson, ce conte prend une autre dimension «  parce que ce sont des aventures d’apprentissage. La saga du pantin est celle de l’éducation d’un citoyen, cet ancien paradoxe d’un personnage qui souhaite entrer dans la société humaine commune tout en s’efforçant de découvrir qui il est réellement, non tel qu’il apparaît au regard des autres mais en lui-même…. »

   Cependant Pinocchio ne devient pas un citoyen véritable car le processus d’apprentissage passe par la maîtrise de la lecture qu’il ne peut conduire à son plein accomplissement. Le personnage apprend à reconnaître les lettres, à les déchiffrer, à les lire sans en comprendre vraiment le sens.

Le pouvoir de la lecture 

Mais qu’est-ce que cela signifie, « apprendre à lire » ? Plusieurs choses.

_ D’abord, le processus mécanique d’apprentissage du code de l’écriture dans laquelle est enregistrée la mémoire d’une société.

_ Ensuite, l’apprentissage de la syntaxe qui régit un tel code. _ Troisièmement, l’apprentissage de la façon dont les inscriptions faites selon ce code peuvent, de façon profonde, imaginative et pratique, servir à la connaissance de nous-mêmes et du monde qui nous entoure. (Nous revenons ici à la notion étymologique de l’intelligence). Ce troisième apprentissage est le plus difficile, le plus dangereux et le plus puissant – et celui que Pinocchio n’atteindra jamais…. 

Et Alberto Manguel de rappeler que la lecture était interdite aux esclaves afin de ne pas susciter chez eux un éveil de l’esprit qui les aurait conduits à revendiquer la liberté. Avec son texte  De l’horrible danger de la lecture, Voltaire dénonce le même étouffement de la lecture.

La lecture est une ouverture

Comme l’amour, la lecture ouvre à l’autre. À moins qu’elle ne soit figée, univoque. Elle conduit alors au dessèchement, au repli, à l’affrontement et à la violence.

Merci aux bibliothécaires qui placent sur les présentoirs des lectures à cueillir, des surprises pour l’habitué venu avec sa liste.