L’autre ou le m’aime ?
3 avril 2023Est-ce que je cherche à m’enrichir de l’autre et à l’enrichir en retour ? Ou bien chacun ne cherche-t-il qu’à produire du même qui l’aime et le conforte dans ce qu’il croit être ? ( Photographie : un tableau de Gregory Forstner).
Un putain de truc
New York. Gregory Forstner y a vécu dix années. Un jour, une dame passe voir son travail. Réaction dont voici une traduction approximative « Je suis juive américaine. Quel est ce putain de truc que je suis en train de regarder ? » Ce putain de truc est un tableau. Il y est question de torture. On y voit des chiens portant casques allemands. Deux bonnes heures d’échanges soutenus entre le peintre et la visiteuse. L’un des grands pères de Gregory était nazi, l’autre Résistant. Deux heures au bout desquelles la dame repart avec le tableau. Elle l’accroche dans sa chambre, face à son lit. Répond aux réactions indignées de ses amis.
La fonction de l’art ?
L’art nous permet de creuser ce que nous sommes ou croyons être. Et que nous ne voulons parfois pas découvrir. Il remue et nous remue. Agréablement ou non. Devrait-il se limiter à orner, cacher, parer ? Doit-il choquer ? Dans ces situations rien de vivant ne se produit. L’absence ou l’excès n’incitent pas à réfléchir. L’ambivalence, l’ambiguïté, si.
« L’oxymore existentiel »
Michael Edwards parle d’oxymore existentiel. Être et ne pas être. Approfondir et élargir à la fois l’être que l’on est et sa relation au monde. Y inclure de l’autre afin d’enrichir le même. Un autre même plutôt qu’un autre m’aime qui ne serait que du moi recyclé. L’empreinte égotique ajoutée à l’empreinte carbone.
« L’homme n’est pas là où il pense. »
« L’homme n’est pas là où il pense » affirme Dany-Robert Dufour reprenant Lacan. Conséquence : il vaut mieux penser, ça permet de voyager. L’homme qui ne pense pas est là où il ne pense pas. Pour lui, l’œuvre d’art, s’il s’y intéresse, comble le vide qui l’habite. L’autre lui est fondamentalement inaccessible dans la mesure où il n’existe pas vraiment lui-même. Sinon en surface, pour « partager, vivre des émotions… »
Un autre inconscient
Une œuvre d’art ne se réduit ni à de la matière, ni à un style, une narration ou un message. Elle est, essentiellement, de l’inconscient matérialisé. En conversation avec l’inconscient de la personne qui la reçoit. Un révélateur de soi. Certains apprécient l’art et les dérangements qu’il provoque. D’autres non. L’art est un autre qui nous révèle, ou bien un autre soi m’aime.