Le jardin des délices, exposition de Marc Goldstain

Le jardin des délices, exposition de Marc Goldstain

27 avril 2023 Non Par Paul Rassat

Du 26 avril au 20 mai 2023, à la galerie Art Now Projects de Carouge, fleurissement pictural en un « Jardin des délices ». Rencontre avec Marc Goldstain pendant l’accrochage.

Le Jardin des délices. Jérôme Bosch à Carouge, le contraste est intéressant !

L’idée est le plaisir chez moi, le péché chez Jérôme Bosch. Pour moi, le Jardin des Délices est du premier degré. J’aimais vraiment l’idée du jardin des délices, je l’ai piquée. Le jardin est le corps. Quand je médite –  ce que je fais depuis trente ans – j’ai plaisir à sentir mon corps. J’ai pratiquement commencé à peindre et à méditer en même temps, à quelques années près. La méditation a été une expérience libératrice, elle l’est toujours, et elle est devenue un moyen de percevoir mon corps autrement. Comme une sorte de plénitude. Le jardin des délices, ce sont tous les plaisirs liés aux sens. La méditation non pas du vide, mais du plein. Autant faire partager ce plaisir ! Ça a commencé avec le Bain des Pâquis, une peinture transitoire que j’ai voulu rendre un peu plus dorée que la réalité, un peu plus mythologique. Le jet d’eau parvient jusque dans les étoiles, ce qui lui donne une dimension cosmique ! (rires). Chacun pourra l’interpréter comme il veut.

En découvrant l’exposition, on est un peu perdu parce qu’il y a une profusion, une exubérance. On ne voit d’abord que la couleur. Et petit à petit, des parties, des détails, les structures émergent. On se crée un chemin personnel, entre conscient et inconscient.

Le rapport à mes sensations est toujours présent. Il y a une sorte d’immédiateté, un geste coloré ou une couleur gestuelle que je vais appliquer sur la toile.

Le geste et la couleur sont indissociables.

J’ai envie d’une couleur, ou bien du contact du pinceau sur la toile, sensuel, liquide. Ce contact physique donne envie d’aller plus loin, il devient un geste. Ensuite la première forme, très simple, émerge et donne envie d’une autre forme. Par-dessus ce processus, je peux greffer des images, des idées, des immeubles, une fleur, un thème mythologique. C’est souvent très immédiat.

L’intention et l’intuition se confondent.

C’est complémentaire, en tout cas. Elles s’enchaînent. Pour certains tableaux exposés ici, je suis parti de la Tour de Babel. Le passage du réalisme vers une autre approche de la peinture est né du besoin d’allier les sensations avec mes désirs d’artiste. J’ai senti à un moment la nécessité d’aller vers quelque chose de subjectif. Plus jeune, j’avais déjà eu une expérience de peinture abstraite, tournée vers l’imaginaire. Je n’avais alors pas trouvé de développement. Cette nécessité s’est de nouveau imposée à la suite d’une urgence de santé. Je m’en suis remis, mais je me suis rendu compte que la vie n’est pas éternelle. Il devenait urgent de suivre ma voie.

C’était simple : ça a commencé par la couleur. Je me suis fait plaisir en peignant parfois des motifs similaires mais avec des couleurs complètement libres.

Dans la peinture réaliste, on a l’impression que tout est donné au départ. Avec ta peinture actuelle, il faut davantage de temps pour fabriquer son chemin, qui est peut-être le tien ou non. Chemin que l’on construit d’une toile à l’autre à travers des échos, des correspondances incessants.

Ça rejoint précisément la façon dont j’ai construit mes toiles. J’ai libéré d’abord la couleur, et puis la forme qui peut venir intuitivement. Je cherche un chemin que je trouve rapidement ou petit à petit. Le spectateur peut avoir le sentiment qu’il faut défricher, chercher.

Certaines formes, perspectives sont impossibles, on ne le voit pas immédiatement. Le terrain est mouvant et très sûr à la fois, avec toutes sortes de références. C’est un monde qu’on a l’impression de connaître mais qui n’est pas celui qu’on connaît.

C’est ça ! J’ai un métier de peintre réaliste assez sûr. Je sais dessiner, manier la couleur et ce métier revient quand je travaille librement. Un coup de pinceau structure l’espace un peu comme des réminiscences de ce que je faisais auparavant, ou bien plus librement et l’ensemble se tisse.

Délice

Délice de se plonger encore dans le livre d’Andrea Marcolongo Étymologies pour survivre au chaos ! Délice et délicatesse ont la même origine qui signifie «  attirer à soi » par le plaisir. Enlacer n’est pas loin et les delikatessen non plus. Le dilettante serait-il celui qui laisse aller librement les choses ? Mais le délice est à la fois l’extrême plaisir et l’objet de ce plaisir nous apprend un dictionnaire. Dualité, complexité qui rejoignent la démarche de Marc Goldstain, et que traduit si bien le pluriel : Le jardin des délices.

« Incertitude, ô mes délices… » Apollinaire