Le païen et la lumière

Le païen et la lumière

14 février 2025 0 Par Paul Rassat

« Être païen, c’est d’abord trouver du plaisir à voir la lumière ».  C’est ce qu’écrit Barbara Cassin dans  son Archipel des idées. Elle souligne l’étymologie grecque commune, à un accent près, des mots lumière et homme. « …L’homme et la lumière vont ensemble, le plaisir de voir la lumière est lié au bonheur d’être un homme. » Le païen est pleinement homme. ( La photo est prise dans l’église de l’Abbaye de Tamié).

Voir et dire

Barbara Cassin souligne aussi une ambivalence sémantique : le même verbe signifie en même temps éclairer et expliquer, parler. «  L’homme grec, c’est celui qui voit, en tant que mortel, la lumière…, ce qui apparaît dans la lumière, les « phénomènes », et qui les éclaire en les disant. » L’auteure relève que cette lumière est d’ailleurs, à savoir celle que « la lune ne possède qu’en l’empruntant au soleil «  et fait le lien  avec « l’homme venu d’ailleurs…l’étranger… »

Le mot païen remonte aussi au latin paganus ( de pagus et de pangere «  ficher, enfoncer …graver dans la cire, écrire. On y retrouve la notion de bornes, de confins. Le païen voit et fait voir du pays !

Que dire alors du croyant ?

Où suis-je ?

Afin de brouiller encore plus les pistes, reprenons la formule de Lacan : «  L’homme n’est pas là où il pense. » Là où il pense être ? L’homme serait donc un ailleurs permanent, un au-delà des bornes. Le «  Va voir ailleurs si j’y suis » ne serait pas simplement destiné à se débarrasser de quelqu’un. Pas un truc absurde du genre : « Si tu me vois et que je te demande d’aller me trouver ailleurs, c’est que je n’ai pas envie de te voir. »

Une autre interprétation de « L’homme n’est pas là où il pense » laisse penser que l’homme, quand il pense, n’est pas. Il est bien là, mais pas dans sa pensée. Pas du tout dans sa pensée ou bien pas uniquement dans sa pensée ? Peut-être aussi dans son corps. À moins que le corps et la pensée ne soient confondus.

Ubiquité bien ordonnée commence par soi-même

C’est peut-être de cette condition que naîtrait l’ubiquité. Il faut être profondément là, ancré, pour être aussi ailleurs. Il n’est pas possible d’être un peu dans l’autre si l’on n’est pas profondément soi. D’ailleurs, à quoi sert d’être profondément soi-même si ce n’est que pour s’y enfermer ? Poussons plus loin. Il faut être autre pour être soi. « L’ennui naquit un jour de l’uniformité ». On nous demande cependant de regarder la réalité en face, de ne pas ciller, de ne pas tourner la tête. Nous pourrions apercevoir autre chose que les chiffres et les statistiques. Autre chose que le doigt qui montre la lune. Un ailleurs possible ici ? À condition de dépasser les bornes pour voir la lumière.