Le rire, l’humour, l’idiotie, la réalité en pleine fa-r-ce
9 juillet 2021Le rire selon Yves Cusset. Extraits d’une conversation avec l’auteur de Rire
Tractatus philo-comicus
La fondamentale idiotie
Vous venez de parler du poids social, mais vous évoquez aussi un poids tragique, l’idée de nullité. Vous écrivez « Etre suffisamment léger pour laisser sans danger le sol se dérober sous nos pieds, et avoir ainsi le temps de se regarder tomber en riant. »
Cette légèreté permet au rire et à l’intelligence de se rejoindre. Entre les deux il faut accepter l’idiotie. Je fais sociologiquement partie des intelligents mais on peut être frappé par l’abrutissement des intelligents, on peut s’abrutir de sa propre intelligence. Je suis de l’avis de Jacques Rancière…on peut s’abrutir du sentiment de sa propre supériorité comme souvent les professeurs d’université, comme les grands penseurs médiatisés qui oublient leur propre nullité. Derrière cette position sociale, il y a toujours cette nullité partagée qu’on s’échine à dissimuler tout au long de son existence autant que faire se peut parce que l’idée de sa propre nullité est plutôt dépressive quand on a fait un certain effort pour s’élever socialement.
Rire de soi
Il est difficile de sourire de sa propre nullité parce que le comique consiste à voir que la nullité qu’on décèle chez l’autre, on la partage. C’est pourtant ce qui nous libère et c’est l’un des ressorts indispensables du comique. Quant à moi, je considère que le comique consiste à regarder en face sa propre nullité et à en faire une force de réjouissance, ce que j’appelle la légèreté.
Le réel est idiot
Être idiot, c’est retrouver le réel alors que le sérieux c’est l’oublier. Le réel est idiot et dans l’humour il y a quand même une culture de l’idiotie, à ne pas confondre avec l’abrutissement. Pour moi, l’idiotie n’est ni un défaut ni une qualité mais le fait de la platitude inconditionnelle du réel. Celui qui ne voit jamais la profondeur des choses voit d’autant mieux le réel. Ce premier degré est tellement puissant qu’il nous éveille.
Ce que j’aime dans le travail du clown, c’est de se refuser à interpréter les choses. Pour le clown, il n’y a que ce qui est là, la situation qui se présente à lui… [ Mise en abyme : le clown n’interprète pas, mais celui qui interprète le clown joue celui qui n’interprète pas alors que…alors que l’idiot colle au réel]
Entre le réel et son interprétation
Faire de la scène vous évite d’être schizophrène, puisque le philosophe, lui, est toujours dans l’interprétation.
Le philosophe est schizophrène parce qu’il est dans l’interprétation et en même temps il recherche le réel, il recherche quelque chose qui arrêterait le mouvement infini de l’interprétation.