« L’autre art contemporain » : lecture libre

« L’autre art contemporain » : lecture libre

8 juillet 2021 Non Par Paul Rassat

Lecture personnelle du livre de Benjamin Olivennes  » L’autre art contemporain, vrais artistes et fausses valeurs« 

Re-présentation

Pour Aristote l’art repose sur la mimesis, sur l’imitation. Il est re-présentation. L’imitation fait d’ailleurs partie de la nature humaine. Elle est essentielle à l’apprentissage. Celui-ci, lorsqu’il se limite à l’imitation et à la répétition ressort de la bêtise. Talpa a déjà abordé cette question à propos du livre de Vinciane Despret «  Que diraient les animaux, si…on leur posait les bonnes questions ?

Imitation et intelligence

« Et puis l’étude des animaux permet de déceler des facultés d’imitation entre eux. Une imitation qui s’adapte à l’environnement, qui fait « de l’autre «  avec «  du même ». Avec des variations. Serait-ce une preuve d’intelligence ? « Parallèlement seront distingués les processus d’éducation intentionnelle actifs et qui répondent à un projet, et l’imitation à l’œuvre dans un apprentissage non volontaire, passif. » On distingue alors l’intelligence qui résout directement des problèmes de l’imitation qui serait « l’intelligence du pauvre ». Or il faut savoir observer, comprendre certaines finalités pour  comprendre l’intérêt de l’imitation et la maîtriser. » Vinciane Despret.

J-B Sécheret  » La rue de Paris » © Henri Delage

Imiter ou se laisser emporter

Pour Benjamin Olivennes l’œuvre étant recréation du monde met celui-ci à distance pour permettre d’y revenir. Il est même question de « beauté transitive dans laquelle l’œuvre me ramène au monde. » Or Talpa a déjà relevé la disparition actuelle de la transitivité transformant les liens au point de les faire disparaître parfois. La transitivité c’est quoi ? demanderait un journaliste d’aujourd’hui. C’est le fait qu’une action passe d’un sujet à un objet. « J’ouvre la porte ». « Je communique des informations. » Notre société cependant transforme de plus en plus de transitif en intransitif «  On a communiqué, on a partagé. » « Profite ! » De quoi ? On s’en fiche, le plus important est de profiter. L’acte devient plus important que son objectif, sa cause ou sa conséquence. La distance disparaît au profit de la distanciation sanitaire. Seul le sujet compte. Il « s’approprie » le monde.

Disparition du sujet et de l’œuvre

Ayant pour seule volonté d’exister, le sujet finit par disparaître. Il se fond dans sa relation d’immédiateté au monde. Certains critiques se plaisent à dire que l’art contemporain est tout simplement l’art de son époque. Court circuit de la pensée, sophisme, sodomokinésie de diptères et truisme ! Suffit-il d’être de son époque pour être de l’art ? La multiplication, la reproduction grâce aux procédés techniques produisent-elles de l’art ? L’idée, l’artiste, l’œuvre réalisée par l’artiste et le regard que le public pose sur celle-ci sont indissociables. Évolution issue, selon Giorgio Agamben de la publication en 1923 d’un texte du moine Odo Casel selon lequel « la célébration du sacrifice eucharistique dans la messe n’est pas une représentation…de l’événement salvateur : elle est elle-même l’événement. »

Paul Richard Mason « Nefertiti »

La bonne distance et l’émotion

« L’art peut être entièrement de son temps sans être moderne à tout prix » écrit Benjamin Olivennes. Il s’agit de trouver la bonne distance, ni emporté et dissous dans son époque, ni forcément d’avant-garde ou réactionnaire. La multiplication « démocratique » (expositions, reproductions, festivals…) permet le partage autour de l’œuvre. Afin de ne pas amoindrir l’intensité de ce partage, l’émotion qui se dégage de l’œuvre finit par primer sur l’œuvre elle-même. De l’émotion, il y en a pour tous puisqu’elle est ressentie par chacun et amplifiée par la communion. D’où les grand-messes politiques, les manifestations sportives lors desquelles les spectateurs se voyant sur grands écrans et se sachant vus par des millions de gens deviennent des héros furtifs. Les concerts se donnent dans des stades. Les réseaux sociaux deviennent lieu de concert, d’exposition, de monstration.

Massification

Les « arts mineurs » d’autrefois doivent leur triomphe au capitalisme flanqué des développements techniques et de la démocratisation. Peut-être faudrait-il objecter à Benjamin Olivennes que la démocratisation d’aujourd’hui n’est justement pas la seule possible et qu’elle est dévoyée par sa dimension économique. Peut-être faudrait-il réfléchir aussi à cette accumulation sous laquelle nous croulons. Les musées en sont le reflet.

Absence de hiérarchisation

La place de l’œuvre et celle de l’artiste ont fortement évolué. Associé à la dimension économique, la fameuse loi du marché, la notion de progrès dans l’art fausse encore plus la situation. Une œuvre vaudrait par ce qu’elle prolonge et par ce qu’elle annonce. Pas par elle-même. Elle n’est plus « …une pensée incarnée dans un objet, une représentation du monde qui la met en forme, une recréation du monde sensible par la pensée…cet étrange mélange de fraternité humaine et de distance infinie. » « Dès lors, toute critique et son contraire sont possibles…Refuser Jeff Koons, c’est refuser Van Gogh » et il est de bon ton de louer les colonnes sévèrement « burenées » du Palais Royal.

Jeff Koons. Du complexe du homard version Françoise Dolto au voyeurisme du homard

Le fameux progrès

  «  Le progrès marche droit devant, emportant dans son rythme effréné d’autres types de temporalité…Chaque entité vivante rejoue le monde, que ce soit à travers les rythmes de croissance saisonniers, les schémas vitaux de la reproduction ou les expansions territoriales…Au sein d’une même espèce, on trouve ainsi de multiples filières temporelles qui s’entrelacent dans la manière dont les organismes se recrutent les uns les autres et se coordonnent pour remodeler des paysages entiers… Grâce à elles, les arts de décrire et d’imaginer se voient revitalisés…Agnostiques quant à une direction qui serait en train d’être prise de manière inéluctable, il s’agit plutôt de chercher du côté de ce qui a été ignoré, de ce qui n’a jamais concordé avec la linéarité du progrès… » Le champignon de la fin du monde (Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme) Anna Lowenhaupt Tsing.

Rejouer le monde

« Chaque entité vivante rejoue le monde… » écrit Anna Lowenhaupt Tsing. L’ambition de chaque œuvre d’art ne devrait-elle pas être de rejouer le monde ? De le présenter, de le re-présenter et d’en rejouer les enjeux fondamentaux ?

L’art relie

L’art consiste à isoler son sujet du reste du monde, à produire une œuvre close, apparemment autosuffisante. Cet artéfact permet d’en souligner la composition, la forme, les nuances, la signification et la portée. Quand nous étudions un tableau, notre regard, nos sens, notre intelligence, notre culture, notre intuition, notre sensibilité et notre histoire personnelle nous en livrent une lecture vivante qui pénètre en nous, effaçant un temps le reste du monde…qui pourtant demeure là, en nous et autour de nous, pendant, avant et après, et s’en trouve ravivé.

Une œuvre contient le monde et y renvoie

Ce n’est donc que par effacement plus ou moins réussi de ce qu’elle n’est pas, mais dont elle renforce la perception qu’une œuvre d’art existe ; c’est par rapport à tout le reste qu’elle s’affirme, en continuité ou en opposition. Lire, voir, entendre, toucher une production artistique, c’est à la fois isoler et relier. Un portrait, par exemple, souligne par tous les procédés choisis par le peintre ou le photographe la singularité du modèle et de la démarche, qu’elle met cependant en relation avec l’ensemble de l’Humanité. Apprécier une œuvre d’art ne serait-ce pas, au fond, aller plus loin que ce qu’elle donne à voir, à entendre ? Ne serait-ce pas tenter de combler l’isolement apparent du cadre, d’une histoire, d’une exécution, d’une simple présence matérielle ?

Plus une œuvre serait artistique, plus elle effacerait le réel pour mieux nous y replonger en une évidence interrogative.