Le sacré et le profane
27 février 2024Lecture très libre du livre de Bernard Lahire Ceci n’est pas qu’un tableau, essai sur l’art, la domination, la magie et le sacré. ( Photo©Christophe Rassat, au Louvre).
« Tout ordre social hiérarchisé, en tant que cadre social structuré par des rapports de domination, repose sur des « valeurs » collectivement admises et respectées, c’est-à-dire sur des croyances collectives en l’importance de « biens » (moraux, culturels ou matériels) ou de « pratiques » qui ont de la valeur. Ces valeurs collectivement constituées et entretenues ( valeurs légitimes) constituent le domaine du sacré et se distinguent de tout ce qui et profane.
Domination
L’articulation du profane et du sacré s’articule aux rapports de domination de la société : les dominés sont renvoyés du côté du profane alors que les dominants multiplient les associations et raccordements au sacré, aux foyers de légitimité…
Les états de domination, c’est-à-dire le produit cristallisé des relations de pouvoir et de luttes passées, se présentent comme des états de faits…
Les dominés sont aussi contraints que les dominés par les structures dont ils héritent.
Détournement du sacré
… Cette appropriation du sacré par les dominants est une propriété invariante de toute domination. On peut parler, à ce propos, d’une captation des valeurs collectives par les dominants, d’un détournement du sacré à leur profit…Le dominant est ainsi en position d’être perçu comme détenteur d’une aura, d’un charisme, d’un prestige, d’une puissance magique ou d’un charme très spécial…
Relation très ambiguë
…La relation de dominé à dominant peut prendre la forme d’un envoûtement, c’est-à-dire d’une relation enchantée ou ensorcelée… »
Pour Bernard Lahire l’articulation entre le sacré et le profane permet à la société de former une « désirabilité collective » tout en hiérarchisant et séparant les désirs principaux et les désirs secondaires, accessoires. Les premiers relèvent du sacré, les seconds du profane.
Le principe de Peter plus haut que…
L’enjeu, pour beaucoup, est d’atteindre la dimension du sacré et de la conserver. Une sorte de principe de Peter politique et social qui permet à chacun de rêver . Ceux qui sont dans le sacré bâtissent un univers qui leur permette d’y demeurer, et d’échapper ainsi au profane. Les autres échafaudent toutes sortes de stratagèmes pour se rapprocher du sacré à défaut d’y parvenir : une photo avec le Président, avec une star sont déjà une première approche. Coucher avec une célébrité, une personne de pouvoir doit pouvoir faire partie de cet envoûtement , de l’ensorcellement dont parle Bernard Lahire.
Le roi est-il nu ?
Mais le roi est de plus en plus nu. Les attributs du pouvoir magique apparaissent de plus en plus comme ce qu’ils sont : des artefacts. D’où notre ère de déception généralisée. Le sacré ne serait plus sacré ? Et les fameuses valeurs, comme celle du travail, auraient été détournées au profit des profiteurs et de la consommation ! Tout s’effondre. Le pouvoir sexuel des dominants aussi.
Ailleurs
Les uchronies et les diachronies fleurissent. Non seulement le réchauffement climatique et l’épuisement de la planète nous poussent à chercher un ailleurs au lieu de chercher des solutions, mais en quoi croire quand le pouvoir d’achat ne crée plus de désirabilité, quand « le diable s’habille en Dati » ? En qui croire quand la voix du Président lisant l’éloge de Missak Manouchian manque de souffle alors que sa professeur de théâtre l’a fait roi ?
Le paon
En faisant la roue, cet oiseau,
Dont le pennage traîne à terre,
Apparaît encore plus beau,
Mais se découvre le derrière.
Guillaume Apollinaire
PS
Pendant la rédaction de ce texte, Emmanuel Macron improvise un débat avec des agriculteurs, au Salon de l’Agriculture. Peut-être faudrait-il oublier un peu, dans ces « débats » la posture du maître qui sait et relève du sacré alors que les autres baignent dans le profane.