Le sniper, le Président et la triade

Le sniper, le Président et la triade

25 août 2023 Non Par Paul Rassat

Avec ce polar, Le sniper, le Président et la triade, Chang Kuo-Li emporte le lecteur dans un jeu de billard à plusieurs bandes. Les intérêts personnels et professionnels, ceux des services de police, de renseignements s’y croisent. Ils forment un drôle de tissu une maille à l’endroit, une maille à l’envers, une maille de travers. La pelote de laine est tenue en coulisse par quelques puissants. La cuisine asiatique apporte à ce cocktail la sauce qui en fait le piment. Le tout est très sérieusement déjanté.

Ambivalence, confusion et complexité

« La cigarette : un produit étrange qui présente deux avantages contradictoires, le premier étant d’accompagner la solitude, le second de raccourcir la distance entre des inconnus. Jouir de la solitude mais espérer l’intimité : une contradiction radicale. »

«  En chinois,… est prononcé na. Il fait partie de ces caractères qui ont une prononciation mais pas de sens.

« En japonais, il est prononcé Shizuku, il signifie « goutte », ou « petite quantité de liquide tombant sous forme sphérique ». »

« Tu m’avais demandé ce que voulait dire le caractère …du manga sur l’histoire du pinard, Les Gouttes de Dieu. La goutte d’eau ou de vin. »

Poésie n’empêche pas pragmatisme

« Brise des mois d’été, bise des mois d’hiver — un même souffle, mais des plaisirs divers. C’est un poème de Kōbō-Daishi. »

Chez nous, on n’a pas de dogme, on n’a que de l’expérience. »

«  Taïwan, c’est pas si grand, on est tous l’ami de l’ami de quelqu’un. »

Le champ des possibles

Quelques passages du roman expliquent la signification (ou l’absence de signification) d’un caractère chinois et comment celle-ci change en japonais alors que le caractère demeure le même. La réalité et la façon de la nommer sont changeantes. Tout ça a dû commencer pratiquement dès l’apparition du langage. Jusqu’à atteindre quelques sommets romanesques avec le plat à barbe de Don Quichotte devenu casque d’armure, un armet. La réalité et la langue forment un jeu de billard à trois bandes. Le bon polar est du billard à dix ou douze bandes.  Il part d’une infinité de possibilités pour en rétrécir le champ à une seule. Alors que l’on nous promet un champ des possibles infini, le polar suit le chemin inverse. Il correspond bien à l’affirmation ci-dessus «  Chez nous, on n’a pas de dogme, on n’a que de l’expérience. »

De l’importance du contact humain

Maîtriser la confusion est vital. Sinon «  Quand on bouffe trop souvent des fraises, on croit  que les cerises n’ont pas de noyaux non plus et on finit par s’étouffer. » Ceci n’est pas de Confucius mais de bon sens. Celui-ci n’exclut pas l’humour « …une bombe atomique disait à une simple balle : «  Je t’envie tant » Et devant l’incompréhension de la balle, la bombe atomique précise «  C’est le contact humain qui me manque » (extrait d’une chanson de Tuli Kupferberg).  Ce passage est l’un des plus significatifs du livre de Chang Kuo-li puisqu’il anime un échange entre deux snipers.

La recherche de la vérité ?

«  Ce que tu dis ne m’aide pas du tout à comprendre ce que tu veux dire. » LA vérité existe-t-elle ? Question suprême quand on parle de polar ? Et quand celui-ci est lié au monde de la politique ! Les lois ne serviraient pas à défendre la vérité mais à « se persuader de   son propre bon droit. » Que l’histoire se déroule à Taïwan ou ailleurs ne change rien à l’affaire. Nous sommes tous des snipers cherchant, dans un théâtre d’ombres, aussi bien à dissimuler ce que nous sommes qu’à percer à jour les autres ombres.