Le théâtre lieu d’ incarnation de la parole,  de la pensée vivante

Le théâtre lieu d’ incarnation de la parole, de la pensée vivante

7 septembre 2021 Non Par Paul Rassat

Rencontre avec Muriel Vernet, actrice, metteure en scène, professeure de théâtre, fille de Henri Vernet qui fut un ami de Gaby Monnet et joua à ses côtés. Avec ses étudiants, Muriel Vernet participera à l’hommage rendu les 9 et 10 septembre 2021 à Gaby Monnet au château d’Annecy.

L’engagement pour le théâtre populaire

Le lien avec Gabriel Monnet vient de votre père.

Mon père a fait partie de toute cette aventure du théâtre populaire d’après-guerre. Gabriel Monnet et lui étaient amis parce que tous les deux originaires du même endroit en Ardèche. Mon père est mort alors que j’étais assez jeune, j’ai donc beaucoup entendu parler de cette histoire.

Dès le départ, ils étaient amis par le théâtre ?

Par le théâtre, par la culture, par l’engagement.

Henri Vernet

Un parcours avant tout humain

C’est aussi une histoire politique. C’est un engagement politique qui s’incarnait dans l’éducation populaire d’après-guerre. Mon père a fait partie des premières Nuits du Château avec Gaby. Il jouait la mère Ubu. J’en ai été beaucoup amusée en le découvrant par la suite mais je n’ai pas eu l’occasion d’en parler avec lui. Je n’ai fait du théâtre qu’après sa mort. C’est venu plus tard mais j’ai quand même baigné là-dedans. Pour mon père, Henri Vernet, l’aventure a commencé avec Gaby. Après, il est allé à Saint-Étienne à l’époque de Dasté. La séparation entre amateurs et professionnels n’existait pas à l’époque. Il est revenu à Annecy et est resté dans « le théâtre amateur éclairé ». Avec Camille Mugnier, ils ont créé l’Échange, il a aussi dirigé Les Escholiers…                  

Muriel Vernet Photo © G. Delaye

Transmission père-fille et nécessité personnelle

Je me souviens qu’il avait fait une salle de répétition dans la maison. Joseph Paléni a commencé comme ça, avec mon père. Toute petite, je baignais dans cette émulation, on parlait beaucoup de théâtre. J’ai quitté Annecy après la mort de mon père, en 77. Je pratiquais la musique et la poésie et j’ai aussi eu envie de faire du théâtre. Ma formation est passée par Chaillot, avec Vitez. Mon père a vécu le théâtre populaire et ensuite est arrivé le théâtre élitaire pour tous. Un fil a continué de se dérouler ainsi. Après ma formation à Paris, j’ ai créé ma compagnie à Grenoble. Le directeur du Conservatoire a vu mon travail, dont « L’échange » de Claudel, et je me suis retrouvée à diriger un département du Conservatoire, comme je le fais actuellement à Annecy.

La continuité et les rencontres

Rétrospectivement, je mesure que mon parcours se sera toujours inscrit dans le service public. C’est un engagement important pour moi. Je n’aurais jamais pensé revenir à Annecy mais j’ai été très contente. Il fallait refaire ce département du conservatoire. C’est drôle comment les choses se sont construites !

J’ai été cinq ans en résidence à l’Hexagone, à Meylan. J’ai reçu un jour un coup de fil de Joseph. Il dirigeait une salle du Groupe des Vingt (Vingt scènes de théâtre public en Rhône-Alpes). Joseph me demande si j’avais quelque chose à voir avec Henri Vernet, laquelle des trois sœurs j’étais…Le lien s’est fait comme ça avec lui. Il est venu voir mon travail. Il a pris plusieurs spectacles de ma compagnie « Les choses dites ».

L’hommage à Gaby Monnet, la parole et la pensée

Et c’est ce qui vous amène à participer à l’hommage que l’association Yanileo, autour de Joseph, rend les 9 et 10 septembre à Gabriel Monnet au Château d’Annecy.

Lorsqu’il a pris cet hommage en charge, il m’a appelée. Toujours dans un esprit de transmission, j’ai pensé qu’il serait intéressant de travailler avec un petit groupe d’élèves. Nous avons lu plein de choses de cette époque. Il y a cette pièce de Denis Guénoun, « Mai, juin, juillet ». Elle parle des événements qui ont secoué le théâtre de 68 mais elle est trop longue pour cet hommage. Trop lourde. Je suis partie dans une autre direction. « Et puis après ? » L’histoire de la première décentralisation a été très forte. Je crois qu’’il y a eu des penseurs du théâtre qui ont continué. Mais aujourd’hui, c’est assez compliqué pour la jeunesse. Je me demande s’il n’y a pas un vide de pensée. Je reviens à mes étudiants. Nous avons beaucoup lu, des textes fondateurs. J’aurais pu piocher des textes ailleurs qu’en France mais nous n’avons pas beaucoup de temps de préparation pour une petite heure au château pendant l’hommage. Vitez, Chéreau, les grandes figures. Lagarce aussi. Gabily, Koltès.

Ce qu’est le théâtre

Est-ce que vous pouvez me dire ce qui se passe sur une scène de théâtre ? Vous parlez de textes fondateurs, forts. Ils sont incarnés. Vous êtes actrice, metteure en scène, qu’est-ce qui se produit au théâtre ?

Je parle de grands textes à propos d’acteurs, d’écrivains, de metteurs en scène qui ont écrit pour dénoncer. La poésie de Vitez, que peu connaissent, parle de l’endroit du théâtre, de l’art, de l’être. Dans les années 90, Lagarce avait un théâtre et il faisait ses éditos qui sont parus en livre sous le titre « Du luxe et de l’impuissance ». L’acuité de ces gens sur l’état du monde, de la société participait à la force de leurs textes. Ils établissaient un va et vient entre l’artiste et le monde: « Et nous, qu’est-ce qu’on fait ? » se demandaient-ils

Un regard sur le monde

Nous allons entendre des textes de Gaby Monnet pendant cet hommage. Je souhaite y ajouter la force d’autres textes sur la décentralisation, sur le théâtre populaire. On sent qu’un monde est en train de s’essouffler déjà, remplacé par un monde libéral et ces auteurs avertissent leurs contemporains et au-delà. Leurs textes vont être lus par mes étudiants qui ont entre 19 et 25 ans. C’est une forme de transmission. Elle s’accompagne d’un constat : très peu de femmes dans la mise en scène depuis l’époque de Gaby. Ce que je souhaite transmettre dans mon travail, par ces textes, c’est un regard sur le monde, une critique, une pensée qui ne soit pas binaire. Le théâtre est pour cela une école de la vie et de pensée absolue.