L’école est à nous, d’ Alexandre Castagnetti
22 septembre 2022Grève des enseignants. Le temps est suspendu. Deux professeurs assurent une sorte de permanence qui accueille quelques élèves. Ceux-ci sont laissés libres d’occuper leur temps à leur guise, de proposer des idées à travailler, à concrétiser. Au grand dam des familles, on oublie le programme, les notes, le brevet à venir. Après une période de flottement chacun trouve sa place, crée de vraies relations avec les autres. Ce que propose L’école est à nous est une démarche du possible, de l’épanouissement personnel et collectif. Un nouveau type de transmission où chacun s’enrichit de l’autre.
Rencontre avec Alexandre Castagnetti et Sarah Suco
AC — J’ai fait les grandes écoles parisiennes parce que ça faisait plaisir à mes parents et aux profs. À côté j’ai toujours fait de la musique. Des films dès que j’ai eu un camescope. C’était ma passion .
On peut penser au Cercle des poètes disparus en voyant votre film.
C’est une très grande référence. Elle renvoie à un établissement d’excellence. Nous avons voulu parler, nous, d’un collège « normal ».
Vous lui avez quand même donné le nom de Jean Zay.
Alors que nous avons tourné au lycée Bergson, à Paris. Jean Zay a changé l’école publique. C’est d’ailleurs Sarah Suco qui me l’a appris alors que nous voyions un documentaire qui s’appelle « L’école est à nous. »
Une partie de l’esprit du film est dans la formule du chef d’établissement. « Vous comprenez que je suis obligé de vous mettre à pied. »
Il est peiné de le faire mais il croule sous le poids de son institution.
L’école de la confiance
L’école que montre votre film est-elle celle dont vous rêviez adolescent ?
C’est une réflexion d’aujourd’hui. J’ai eu un parcours scolaire assez facile, donc pas de problème de confiance en moi. Alors on continue sans trop se poser de questions. Il ne s’agit pas de l’amour d’apprendre quelque chose mais d’être valorisé. Mes enfants ont douze et quinze ans. Ceci pose des questions sur ce qu’ils font au collège et je me demande ce que je dois leur dire. Pour écrire le scénario, nous avons rencontré beaucoup de profs et de chercheurs en éducation. Cette histoire est le fruit de l’existant. Nous avons rassemblé des profils dans le personnage qu’incarne Sarah. Il est inspiré d’un vrai professeur de mathématiques qui a vécu une expérience un peu similaire. L’école est à nous est à la fois une réflexion et un film très positif qui puisse donner un élan, du souffle.
« Nous »
Dans le milieu scolaire ce sont toujours les mêmes rapports de forces, les mêmes réflexes. Vous proposez une troisième voie : la confiance, l’expérimentation.
Se mettre tous ensemble. C’est le « nous » du titre. Tous ensemble pour créer des équipes, des synergies. Ne pas rester dans la même hiérarchie figée mais ménager des espaces de rêve. Il faut casser quelques barrières. Ils l’ont fait en Finlande. Il n’y a plus de matières à l’école mais des thèmes généraux sur l’année. [ Sarah Suco souligne que le métier d’acteur permet d’apprendre en faisant, ce qui correspond à ce que propose le film].
Être soi
Y- a-t-il un fil conducteur dans vos films ?
Il doit y en avoir un, mais il n’est pas tracé à l’avance.
Vous faites peut-être des films pour répondre aux questions de vos enfants. Un film par question, ça fait beaucoup !
C’est peut-être le fil conducteur, oui. Je voulais montrer comment trouver cette confiance qui permet de se projeter dans l’avenir. Notre époque en manque dans tous les domaines.
Pour permettre cette confiance, il faut que la personne qui enseigne soit elle-même avant d’être professeur.
Sarah — C’est sans doute la fragilité de mon personnage qui le permet.
Entre l’ingénieur et le bricoleur
Ce film rappelle une conversation tenue avec Stéphane Sauzedde, directeur de l’école d’art des Marquisats, à Annecy. Nous y retrouvons la fameuse troisième voie. « Ingénieur et bricoleur, deux figures qui incarnent quelque chose de notre époque, la maîtrise, l’extractivisme, l’organisation abstraite d’une part, les savoirs situés d’autre part, les expertises locales, l’aventure toujours renouvelée de se confronter au monde qui est là, sous nos yeux … faire que nos étudiants se forment à des techniques expertes que maîtrise l’ingénieur, des savoirs faire, des connaissances afin de les appliquer dans des situations qui ne soient pas coupées de la logique du monde, dans une approche de bricolage. Il s’agit en gros de dépasser la dialectique pour faire disparaître les deux figures et en créer une nouvelle.
Appartenir au monde
Il y a eu des générations de bûcherons qui s’occupaient des forêts, coupaient le bois nécessaire aux charpentes des villages voisins, au chauffage. Ils ont été remplacés par des ingénieurs faisant grosso modo la même chose, mais pas dans une logique d’accompagnement d’une collectivité située sur un territoire, ni dans une logique de connaissance du terrain. Il s’agissait du quadrillage d’une forêt en vue d’une rentabilité, d’un rapport mécanique et abstrait qui écrase toutes les spécificités locales.
Nous souhaitons retrouver cette logique du bûcheron qui a des compétences très précises, en grande partie comparables à celles de l’ingénieur. Il est cependant un habitant parmi les autres de ce milieu, une forêt, une bio région… »
Un élève et un professeur sont des habitants parmi les autres, enracinés dans le monde qu’ils contribuent à fabriquer.
La troisième voie
Ce film peut toucher tout le monde. La narration fait habilement passer une importante base de réflexion. Le résultat n’est ni contestataire, ni révolutionnaire, ni documentaire. Humain. Simplement humain.