L’Éditaupe #6 — La ville à la campagne

L’Éditaupe #6 — La ville à la campagne

30 décembre 2020 Non Par Paul Rassat

Dialogues de taupes

— D’autres taupinières, d’autres galeries, ailleurs, un peu partout !
— On en a la preuve scientifique.
— Alors l’univers est une vaste taupinière !

— Tu sais qu’il y a des taupes vegan ?
— Oui, entendu parler.
— Tu crois qu’on va être obligées de devenir vegan ?
— Ch’ais pas.
— Parce que si on devient vegan, qui va manger les limaces qui mangent les plantes qui poussent dans les jardins ? Hein ?
— Et ainsi de suite.
— Tu reprends un vers ?

Maquette d’Underwasser. Immeuble végétalisé

Construire les villes à la campagne

De qui est cette formule ? Commerson ? Alphonse Allais ? Quand une formule fait mouche, on s’en dispute la paternité. La maternité aussi pour cause de quotas

Des bourgs aux villes

Au Moyen Age naquirent les bourgs habités par des bourgeois de Calais ou d’ailleurs. Ils devinrent des villes alors que les villageois habitaient des villages. À quoi distingue-t-on habituellement un village d’une ville ? À la taille et au fait qu’un village n’héberge le plus souvent qu’un seul idiot labellisé. Il arrive parfois quelque confusion qui permet à Pierre Dac de produire ce type de petite annonce :

« Idiot cherche village. »

Post confinementum homo ecologicus.

Eh oui ! après le confinement l’homme reverdit ainsi que ses prétentions à habiter vers la campagne. Les citadins des grandes villes qui en ont les moyens cherchent à acheter logement dans des villes de taille plus modeste pour y couler des jours plus paisibles au cas où un virus mal intentionné pointerait de nouveau le nez, nous obligeant à demeurer masqués, séquestrés, isolés.

Recherche pavillon avec jardin pour bonheur vert… Ce transfert des grandes vers les moins grandes villes, voire la campagne, influe sur les prix et sur la qualité de la vie au grand dam des citoyens des villes moyennes et des ruraux qui vivaient tranquilles.

Confusion ville / campagne

Au 19ème siècle, les villes grandirent car il fallut à leur périphérie fixer une main d’œuvre disponible et bon marché. La concentration s’accrût jusqu’à l’explosion que nous constatons, au point que désormais les villes veulent se protéger de la pollution qu’elles ont entraînée par l’instauration de péages à leur entrée !

Écolo en ville, je me dirige vers la campagne pour demeurer vert ! Envers et contre tout.

Il y a une trentaine d’années le retour du loup en France via l’Italie, sans passeport, avait initié des oppositions que l’on retrouve amplifiées depuis. Les citadins écolos voulaient retrouver pour leurs vacances une nature naturelle, préservée des méfaits de l’urbanisation, les ruraux souhaitaient bénéficier des avantages de l’urbanisation en gardant les avantages de la campagne.

Tous à cran pour le petit écran

 Le berger souhaite retrouver sa famille le soir et profiter de ces moments de mise à disposition du cerveau pour Coca Cola que défendait Patrick Lelay et le loup qui vient croquer ses moutons pendant qu’il regarde The Voice ou Koh-Lanta lui inflige une roubignollite aigüe. Le citadin installé à la campagne est dérangé par le chant du coq pourtant gaulois ou bien par l’odeur si forte des vaches mais est-ce possible ? Ne pourrait-on pas produire des vaches en packs pasteurisés ?

Du vert dans l’assiette à une société vertueuse

Greffez sur ces différends la tendance du veganisme dont Wikipédia nous apprend que la traduction pourrait donner « végétalisme intégral ». Bronzage intégral, islamisme intégral, intégrisme de tous poils ou glabres…

« Le véganisme est la doctrine selon laquelle les humains doivent vivre sans exploiter les animaux. »

Il ne s’agit pas ici de discuter le bien-fondé du véganisme mais d’aller plus loin : quelle serait la doctrine selon laquelle les humains doivent vivre sans exploiter ni les animaux, ni les humains » ?

Car au fond, le mot le plus important dans l’affaire est le verbe « exploiter dont le TLFi nous apprend qu’il vient d’un très lointain cousin latin signifiant « accomplir » mais qu’il nous mène vers « achever le labour du jour », « tirer parti de », « se servir (de quelqu’un) en n’ayant en vue que le profit, sans considération des moyens », « abuser des ouvriers »…

Que d’exploits !

Ne pas réserver l’homme vert à la publicité

Une petite touche de Spinoza pour donner du fond à la réflexion ? Nous pensons que ce que nous désirons est bon alors que ce devrait être l’inverse : nous devrions désirer ce qui est bon. Dans la même veine mais version opportunisme, cet élu qui constate « Pour être élu, il faut faire de l’écologie. »

Désirer habiter la campagne, est-ce bon en soi ? Bon pour la campagne ? Bon pour les animaux de la campagne ? Manger des animaux, est-ce bon pour l’Homme, pour les animaux ?

Pierre Légaré répondrait que, si les humains ne mangent pas les herbivores, il n’y aura plus d’herbe pour les humains.

« Gardarem lo Larzac » le slogan post soixante-huitard reverdit dans les esprits. Le roman Nature humaine de Serge Joncour évoque en grande partie ces mêmes enjeux. Une autre solution cependant pourrait voir le jour : transformer les grandes villes en immenses parcs, les bureaux en potagers et vergers, les toits en promenades végétalisées.

Plantez des arbres contre le péril nucléaire Affiche d’Underwasser

Faire preuve d’urbanité à la campagne

Le berger écoute le vent
Le berger compte les étoiles
Le berger regarde le temps
Grisailler son manteau de toile
Le berger confie son troupeau
À l’épaule de la montagne
Le berger joue de son pipeau
La voix du torrent l’accompagne
Mais par les longues nuits d’été
Couché, seul, sur le dos, dans l’herbe
Compagnon de l’éternité
Le berger
Le berger
S’emmerde.

Francis Blanche — Le berger

L’homme ne devient véritablement humain que dans sa relation aux autres. Il est un être social, ce que soulignent les contraintes du confinement. Il devient cependant trop facilement un animal grégaire qui transforme sa liberté en asservissement aux modes, aux tendances. Les flux des réseaux divers, des départs en vacances, nous transforment en fourmis répondant aux concentrations de phéromones.

La morale ! La morale ! Mais tout est déjà dans le titre Rats de ville et rats des champs. Dans l’opposition entre la ville et les champs, l’unique et le pluriel, l’enfermement et la liberté, Monsieur de La Fontaine tranche dès le titre.