L’égalité selon Thomas Piketty
21 novembre 2024Sébastien Vassant et Stephen Desberg mettent en album le livre de Thomas Piketty Une brève histoire de l’égalité. Le titre est intéressant par lui-même. Il constitue une sorte d’oxymore, de contradiction dans les termes. On peut se demander, en effet, si la lutte contre les inégalités suffit à conquérir l’égalité. L’opposition du pluriel et du singulier est significative. Lutte interminable qui ressemble à l’avancée vers une ligne d’horizon fuyant à mesure que l’on avance. L’histoire brève est celle du récit, la conquête est interminable.
Toutes informations utiles
L’album se distingue par la densité des informations qu’il apporte. Informations historiques, économiques, politiques. La lecture de quelques pages remplace avantageusement plusieurs séances de cours de bon niveau. L’ensemble est concret, factuel, au-dessus ( ?) des idéologies caricaturales et des tentatives de propagande. Il prend en compte, ce qui est rare, les données comparées de l’Europe et des autres continents afin de montrer comment tout est lié. Comment « des dynamiques nouvelles s’enclenchent ici » et permettent d’exploiter ailleurs, accroissant les inégalités par la colonisation. L’idée que l’on se fait du commerce varie en fonction de l’armée ou de la puissance dont on dispose. Il apparaît que l’égalité est subordonnée à la puissance économique.
Une véritable étude
Thomas Piketty n’est pas d’extrême droite. L’album s’ouvre sur ces mots : « L’inégalité est avant tout une construction sociale, historique et politique. » Il se termine par ceux-ci : « Les questions économiques sont trop importantes pour être abandonnées à d’autres. La réappropriation citoyenne de ce savoir est une étape essentielle dans le combat vers l’égalité. » Si la réflexion de Thomas Piketti est orientée, c’est vers davantage de démocratie, et son propos n’est pas simplement polémique. Il s’appuie sur une étude diachronique et synchronique qui permet d’éviter les biais cognitifs volontaires ou non.
Rousseau ?
« Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu’ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à se perfectionner ou embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de musique; en un mot, tant qu’ils ne s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul pouvait faire, et qu’à des arts qui n’avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant: mais dès l’instant qu’un homme eut besoin du secours d’un autre, dès qu’on s’aperçut qu’il était utile à un seul d’avoir des provisions pour deux, l’égalité disparut, la propriété s’introduisit, le travail devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu’il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l’esclavage et la misère germer et croître avec les moissons. » De l’inégalité parmi les hommes
L’enjeu ? La démocratie
Clémenceau déclarait » La guerre est une chose trop grave pour la confier aux militaires. » La démocratie et l’égalité sont choses trop graves pour être confiées aux responsables politiques. L’écologie aussi. « Oui au socialisme démocratique », tel est le panneau qui clôt l’album de Sébastien Vassant et Stephen Desberg paru au Seuil. Lecture indispensable en ces temps de repli, de nationalismes exacerbés portés par la soif de « chefs ». » Make democracy great again »?