Leonardo di Costanzo, « ARIAFERMA »

Leonardo di Costanzo, « ARIAFERMA »

29 septembre 2021 Non Par Paul Rassat

ARIAFERMA était projeté le 27 septembre en soirée d’ouverture du Festival du Cinéma Italien d’Annecy. Un grand film de Leonardo di Costanzo qui va bien au-delà des images.

Métaphore et parabole de la vie

Ce huis clos concentre la vie en la contraignant dans le périmètre d’une prison. Les relations s’y vivent frontalement, en opposition permanente. La société y est réduite à un fonctionnement basique, caricatural et répétitif. Gardien ou détenu. D’un côté ou de l’autre des grilles omniprésentes. Si en cuisine un fond de sauce permet de concentrer les goûts, la prison concentre les préjugés. Tous les raccourcis de la pensée schématisée et automatisée par le règlement et l’uniforme conditionnent les relations. Au point que les détenus n’y sont nommés que par leurs patronymes. Aucune place n’est laissée à l’individu.

Le grain de sable bienvenu

Et puis, le règlement ne permet plus de faire face à une situation inédite. Que faire ? Aller vers davantage de règlement ou bien improviser ? Une conversation s’engage alors, prudemment, entre détenus et gardiens. Une drôle de cuisine en naît, ainsi qu’un espoir illustré par l’une des dernières scènes. On va, parmi les mauvaises herbes du potager abandonné, chercher ce qui peut encore servir à la cuisine commune qui réunit détenus et gardiens.

Le huis clos

Le cadre de la prison est lui-même un personnage. La prise de vue livre à cru la lèpre qui ronge les murs, les tronches en gros plans. Les silences. L’architecture de la prison conditionne l’univers clos, pétri d’habitudes, de répétitions jusqu’à la pathologie. Chacun finit par s’y conformer à ce que l’on pense qu’il doit être. Jusqu’à la caricature et à la dépossession de soi. La bande son joue de la schizophrénie. Musique froide ou quasi religieuse, elle emporte le film au-delà du lieu. La bande bruit nous plonge dans ceux des portes qui grincent, des serrures, des voix comme émises dans un aquarium.

Renoncer ou bien demeurer humain

ARIAFERMA est effectivement une parabole de la vie. Il est nécessaire, pour y garder son humanité, de prendre quelques chemins détournés, d’improviser, de s’inventer avec les autres. Leonardo di Costanzo va chercher ce qu’il y a d’humain, enfoui au plus profond de chacun pour demeurer dans la fraternité. Pour cela, il est nécessaire d’abandonner tous les uniformes, vestimentaires, intellectuels, psychologiques. Il y a là-dedans un soupçon  de Buzzati et de son roman Le désert des Tartares. Que faire d’un temps qui n’est pas contraint par le fonctionnement habituel ? Si le film est sombre, littéralement et dans l’esprit, il ouvre une fenêtre d’espoir.

Est-ce bien de la fiction ?

Lors d’une rencontre avec le public ce 28 septembre 2021, Leonardo di Costanzo explique son passage par le documentaire. Après un long parcours, il arrive au point où les outils de celui-ci ne lui permettent pas d’aller plus loin, il passe à la « fiction ». La trame, la narration sont épurées, réduites à l’essentiel. La limite entre documentaire est ténue, poreuse. Ainsi, nombre d’acteurs d’ARIAFERMA ne sont pas des professionnels. Leurs personnages sont très proches de ce qu’ils sont eux-mêmes. Pour échapper au jeu d’acteur, les rôles ont été inversés. Toni Servillo devait incarner un détenu et Silvio Orlando un gardien. On a filmé l’inverse. Et c’est le détenu qui force la conversation afin d’apporter une solution à une situation de crise. Leonardo di Costanzo aime jouer de ces contre-pieds, échapper à la trame préétablie. Il aime bien aussi « faire travailler le public ». Rien n’est donné d’avance.

Leonardo di Costanzo à Bonlieu parlant de son film. Vous avez dit « Passion »?

Un film qui se mérite

Certains auront trouvé le film sombre, difficile. Mais le chemin parcouru ensemble n’en est que plus épanouissant. Et puis, pour conclure, il faut souligner un dernier contre pied de Leonardo di Costanzo. S’il a été documentariste, il ne recherche pas la « vérité » et le réalisme jusqu’au détail. Sa mise en scène relève du théâtre. Il joue par l’image, par la lumière des contrastes qui finissent par se rejoindre.