« Tout s’est bien passé », osons la dignité avec François Ozon

30 septembre 2021 Non Par Paul Rassat

« Tout s’est bien passé » pour qui ?

Ça dépend toujours du point de vue et du contexte. « Tout s’est bien passé ? » vous demande le serveur au restaurant. Tout s’est bien passé pour le personnage d’André qu’incarne André Dussollier dans le film de François Ozon. Paradoxalement d’ailleurs puisque, diminué par la maladie, il décide de mettre fin à ses jours. Il s’en amuserait presque, comme l’illustre cette scène dans un restaurant, « La coquille » où il avait ses habitudes et partage un dernier repas. Le mot coquille perd son « q » et le résultat montre l’image métaphorique du corps, notre coquille, partant en c…

Rire décalé et jaune

Dans ce film, l’humour et le rire proviennent du décalage permanent entre la décision d’André, sa détermination de plus en plus marquée et les réactions de son entourage. Surprise, inquiétude, incrédulité, espoir de renoncement…jusqu’à la fin à tous les sens du terme. Rire et sourire sont tempérés par la dimension morale et par les relations que la situation révèle « en creux ». « Je l’aimais, idiote » répond à leur fille la femme d’André, homosexuel et difficile à vivre. Car le film révèle tous les chemins plus ou moins détournés que peut prendre l’amour conjugal, filial, paternel…

Point de vue, encore

« Bonjour » disent les Suisses quand les Français disent « Au revoir ». La vie est affaire de frontières, de langage et de point de vue. Les choses commencent pour les uns quand elles se terminent pour les autres. La mort est, une angoisse, un poids pour ses proches, une libération pour André. Drôle de personnage qui dit ce qu’il pense sans s’embarrasser de périphrases, ni d’euphémismes. Il choque et s’en fiche, jusqu’au cynisme. « Ça va coûter cher tout ça ? » interroge-t-il à propos de la mort assistée en Suisse. Apprenant le prix du trépas, il s’interroge « Je me demande comment font les pauvres ? »

Vaste débat

Qui a raison ? André, direct et massif comme un bulldozer ? Ceux qui composent ? Difficile de trancher. Aussi bien que sur la loi Leonetti et sa formulation parfois ambiguë.

Un rôle de dé-composition pour André Dussollier

On apprécie André Dussollier pour sa diction, pour le grain de sa voix si reconnaissable. Il brille ici dans l’inarticulé, le soupir, le borborygme, l’onomatopée, l’ébauche, le degré zéro de la parole, les envolées version sirène aiguë. Le regard vide, la lèvre pendante, les mouvements et les gestes créent un autre langage tout aussi expressif.

Une farce morale et profonde

Cet entre deux qui réunit, le temps du film, la vie et la mort, crée des situations limites et absurdes pour tous les protagonistes. L’habileté de la mise en scène est de provoquer ces heurts jusqu’à l’absurde. Ils impliquent les rôles principaux, le notaire, l’avocat, des policiers, des soignants. En regard de toute cette agitation, le personnage d’Hanna Schygulla est d’une resplendissante sérénité. C’est ce qui lui permet de déclarer « Tout s’est bien passé, de sa Suisse où « Bonjour » signifie « Au revoir ». On se demande alors si le droit de mourir dans la dignité n’est pas, en réalité, celui de vivre dans la dignité