Ligismond à La cour de l’Abbaye, Annecy

Ligismond à La cour de l’Abbaye, Annecy

28 octobre 2022 Non Par Paul Rassat

Exposition Ligismond du 21 / 10 au 10 / 12 / 2022. Fondation Christian Réal.

Clowns, bouffons, histrion

Le clown représente la figure du roi assassiné. Il nous renvoie une image inversée du monde et de nous-mêmes. Le bouffon est une parodie du moi, révélatrice de la dualité de chaque être et de sa propre face bouffonne. Il oblige à chercher une réalité qui assemble et dépasse les deux faces de la pièce. Voici, repris schématiquement, ce que nous apprend le Dictionnaire des symboles. Ajoutons au clown et au bouffon l’histrion. Celui-ci est d’abord un mime, puis un acteur de farces. Le mot farce étant lui-même à double face. La farce qui garnit l’intérieur d’une viande, par exemple. Ou bien la farce qui parodie, désacralise. Mais quelle farce nous joue Ligismond ?

Le carnaval

Notre homme tient carnaval dans ses toiles et ses sculptures. Le carnaval, vous savez, ce temps de liesse. Défilés, excès en tous genres, inversion des valeurs, des codes y distraient le peuple des contraintes habituelles. Le carnaval est un temps de joie, de rires, de respiration indispensable. Une compensation. Le travail – au sens d’accouchement ?- de Ligismond relève de cette farce carnavalesque qu’il nous renvoie en un miroir non pas déformant mais révélateur. L’homme au cigare zigouillant Donald pourrait bien être un Père Ubu, roi de la phynance.

Impressions de visite

Clowns, toons, bouffons, représentations démultipliées, caricaturées de soi. Plus l’artiste montre, plus il se cache sous le maquillage, sous la démonstration. On reconnaît quelques références, Egon Schiele. La coupe de fruits garnie de bambins évoque la Modeste proposition de Jonathan Swift. La prostituée voisine avec le loup de Tex Avery. Le conte n’est plus bon, déséquilibré, le chaperon dévoyé. Le rouge pute bordel envahit un mur. Le mouvement omniprésent se déhanche, entame une danse, le  défilé d’une revue Crazy Horse Saloon. Les anges déchus, bouche arrondie, crient un son inaudible.

L’art pour sur-vivre ?

Ligismond montre mais les paroles sont absentes. On aurait presque envie de voir ce qui se cache derrière ces ailes d’anges péripatéticiens pathétiques qui dégoulinent jusqu’au sol de sang. Les masques nous regardent, nous dévisagent. Adam et Ève en ont pris un coup derrière les oreilles. Juste à côté, devenus Roméo et Juliette ils sont tombés du balcon. Le bouledogue se veut fleuriste : c’est le bouquet ! Sans croix, le Christ s’envole. Le saxophone embouche le saxophoniste.

Histrion y pense en se rasant

Ligismond se met en scène comme l’auteur d’une farce dont il faudrait trouver la composition. Une farce qui enroberait l’ingrédient principal resté secret. Une fa-r-ce de clown. Mais tout est bien puisque le monde de toons nous renvoie à la plus grande déclaration politique de tous les temps. «  Avec Carla, c’est du sérieux. » Certifié urbi et orbi et Disneyland. L’art des toons serait-il le moyen toujours risqué d’échapper à la fameuse trempette de Qui veut la peau de Roger Rabbit ?

Exposer et  (se) prostituer

Prostituer c’est, étymologiquement, placer en avant, exposer. Ligismond expose des personnages qui s’exposent aux yeux d’une société du spectacle. Jeu de miroirs. On se souviendra de la nouvelle de Maupassant Boule de Suif. Celle qui porte ce nom est une prostituée appréciée pour ses qualités professionnelles. Seule de toute une diligence fuyant en 1870 l’ennemi prussien à incarner des valeurs morales. Notables, nobles, commerçants établis, religieuses, homme du peuple se vendraient pour rester libres. La prostituée est la seule à respecter un code moral. Carnaval, monde à l’envers !