Chaque jour est carnaval #4. Masque et pouvoir

Chaque jour est carnaval #4. Masque et pouvoir

14 février 2021 Non Par Paul Rassat

Le masque

Dans la revue Anthropologie et Sociétés, Pierre Maranda a écrit l’article Masque et identité.

En contraste avec cette image subjective qu’on se forme de soi-même , les masques et les costumes que l’on porte sont là, objectivés….On peut les toucher, les regarder sous tous les angles, les considérer comme des identités en prêt-à-porter…Dans une sorte de grossesse inversée, le masque porte celui qui le porte, le porte à agir de telle ou telle manière mais surtout le porte dans son sein. Le porteur devient l’instrument de sa propre mise au monde

Les masques africains, océaniens répondent à cette définition. Qu’en est-il du masque industriel porté en temps de pandémie ? Il porte une absence d’identité, une uniformisation dans laquelle se fond l’individu soumis à la loi de la série. « Série je t’aime, série je t’adore. » comme dans la chanson et dans la production industrielle avec son pendant télévisuel où sévit la série dont les saisons remplacent celles de la nature. D’un côté, donc, cette uniformisation masquée, de l’autre le véritable carnaval en un retournement de plus en plus marqué puisque c’est le pouvoir qui l’organise. Contre lui, contre le peuple ? On ne sait pas vraiment.

Le masque multiple

On avait fait, l’hiver précédent, plusieurs masques de cire de personnages de la Cour, au naturel, qui les portaient sous d’autres masques, en sorte qu’en se démasquant on y était trompé en prenant le second masque pour le visage, et c’en était un véritable tout différent, dessous…

Roger Caillois citant Saint-Simon dans Les jeux et les hommes

On s’y perd ! Un masque sous un masque, le 2ème moulé sur le visage qui porte le masque et le moulage ! Trop de masques tuent-ils le masque ? Apparemment non. Nos dirigeants en jouent et se retrouvent coincés quand ils n’avancent pas masqués. Ce ministre pour son compte à l’étranger, Nicolas Sarkozy après cette entrevue avec Poutine dont il sortit sonné au point qu’on le crut ivre. Jean-Paul Delevoye qui qualifiait de légèreté coupable ce qu’Edouard Philippe appela « erreur de bonne foi. » L’ « omission par oubli » de certains mandats alors que J-P D en avait eu « pas moins de treize dont onze toujours actifs au moment où il fut nommé « monsieur retraites ». (Libération). Jean-Paul Delevoye était entre autres Président d’Honneur du think tank « Parallaxe ». Rappelons que la parallaxe est l’ « incidence du changement de position de l’observateur sur l’observation d’un objet » (TLFi). Treize mandats, est-ce bien raisonnable et où se cache l’efficacité dans cette multiplicité ? Où voir le véritable Jean-Paul ? S’il en existe un.

Désinhibition carnavalesque des uns pendant que les autres tirent la corde et serrent la ceinture

La théorie du ruissellement économique, un conte pour  enfants…Si les météorologues prédisaient de la pluie aussi souvent que les économistes nous annoncent cet imaginaire ruissellement mondial des richesses, on aurait tôt fait de s’en détourner. Cette stupidité nous occupe le cerveau au point que l’on voit encore les riches comme ceux qui créent une richesse dont on attraperait une menue part à notre compte, plutôt que de les considérer comme ceux qui la ponctionnent à notre détriment…

L’économie psychique vise à maintenir bas le taux d’excitation de l’appareil nerveux. Satisfaire un besoin, donner libre cours à une pulsion, soulager une tension…c’est réduire l’agitation qui démange, immobiliser ce qui court sur les nerfs. Du plaisir  résulte le sentiment d’assouvissement qui accompagne ces actes de libération.

Il est assez rare, toutefois, que le sujet se libère sans heurt de sa charge. La morale et les lois comptent au nombre des instances qui contraignent les sujets à « refouler »….

…être riche, psychiquement, c’est se donner les moyens de manifester aussi aisément et fréquemment que possible ses volontés psychiques : surtout ne pas devoir les contenir dans les coûteux processus du refoulement. Car refouler est précisément ce qui fait augmenter le taux d’excitation psychique. D’où le malaise, le désagrément, l’agitation, toutes les névroses qui troublent les pauvres gens, alors qu’ils ont devant eux une classe de dirigeants si maîtres d’eux-mêmes, des cohortes d’experts et de porte-bouche si sereins dans leur ordinaire…

La monnaie, au sens courant d’une richesse thésaurisée par un système de codification socialement reconnu, allège ce « travail «  de refoulement….De ce point de vue, être riche consiste à faire, plus souvent que lorsqu’on ne l’est guère, l’économie d’actes de refoulement. »

Alain Deneault La médiocratie

Et ainsi va le carnaval ! Celui-ci est devenu le défoulement permanent des dirigeants, des nantis. Le processus gagne jusqu’aux amuseurs publics qui entre eux, à la radio ou à la télévision donnent spectacle, se donnent en spectacle. Ils se renvoient la balle et la promotion dans un copinage permanent. Se souvenir aussi de cet article énonçant que les cadres et dirigeants qui ont un bureau plus spacieux que les autres s’y comportent plus mal. Vous retrouverez ce défoulement chez bon nombre de possesseurs de grosses voitures.

« Passé les bornes, il n’y a plus de limites »

Au fond, la véritable question, plutôt que Combien ? Comment ? Ne serait-elle pas « Mais comment osent-ils ? Qu’est-ce qui nous retient d’être comme eux dans l’excès, la démesure, le mensonge, l’inversion des valeurs, la violence faite aux autres ? Quel ressort pousse le couple Balkany dans une outrance qui forcerait une force d’admiration suspecte ? Quelle motivation pousse un Alexandre Benalla à faire ce que beaucoup n’oseraient pas ? Un François de Rugy à régaler ses hôtes de homards auxquels il est allergique et qui l’ont un temps « tuer » politiquement ? Pour le pouvoir, c’est tous les jours carnaval, le retour du Roi et de la Cour aux dépens du peuple.

L’Illusion

…Le narrateur doit fournir des stimuli qui remplaceront les stimuli originels…il demande à son public de réagir à des choses absentes, par exemple l’odeur de l’herbe un matin d’été.  Depuis l’aube de la civilisation, les bardes et les conteurs ont inventé toutes sortes de procédés destinés à fournir ces stimuli-ersatz.

   Les plus anciens fondamentaux consistent à placer sur une estrade des gens préalablement costumés, et le visage recouvert de peinture ou de masques…Le spectateur sait, dans un compartiment de son cerveau, que les personnages qu’il voit son des acteurs, dont il connaît les noms ; et il sait qu’ils « jouent » afin, précisément, de lui donner des illusions à lui spectateur.

Arthur Koestler Le cri d’Archimède

Ce que Koestler dit du théâtre, de la représentation artistique vaut de nos jours pour la représentation politique. La démocratie représentative est devenue une démocratie en représentation.

Darian Leader précise « …finalement, l’objet dont on fait le deuil n’a jamais commencé par être possédé…il peut se produire, dans certaines circonstances, un effet de soulagement plutôt que de souffrance si l’on se rend compte que nous n’avons jamais eu ce que nous pensions avoir au début. » La politique est un monde de passe-passe. Les fake news qui fleurissent comme colchique dans les prés en sont la preuve. Vrai ? Faux ? Faux vrai ? Vrai faux ? À l’image du vrai-faux passeport délivré semble-t-il par les services de Charles Pasqua à Yves Chalier autrefois. Ce même Charles Pasqua qui déclarait « Les promesses des hommes politiques n’engagent que ceux qui les reçoivent. » Promesses et menaces maintiennent les citoyens en laisse.

 

Nombre de dirigeants préfèrent manipuler plutôt qu’éduquer. C’est le discours d’un Edouard Bernays dans Propaganda (1928). Même et surtout en démocratie, il faut un groupe de gens invisibles qui manipulent l’opinion des citoyens pour le plus grand bien de ceux-ci. Goebbels avait, il paraît, le livre de Bernays sur sa table de chevet. La manipulation est plus rapide à mettre en œuvre que l’éducation et l’esprit critique. Elle rapporte davantage. À qui ? Ce n’est pas la question. Il y a quarante ans, un roi condamnait les manifestations réprimées, sur son ordre, dans le sang. Il n’y voyait pas le peuple mais la « populace ».

Parfois le carnaval ressemble à Apocalypse now. Pendant ce temps la taupe creuse.