Marc Desgrandchamps  Clair-Obscur

Marc Desgrandchamps  Clair-Obscur

27 mai 2023 Non Par Paul Rassat

L’exposition de Marc Desgrandchamps Clair-Obscur est visible à l’Abbaye d’Annecy-le-Vieux jusqu’au 27 août 202. L’entre-deux que représente le titre se retrouve dans tout le travail ici exposé. Un jeu permanent du temps, de l’espace, du figuratif et du symbolique. Enrichissant pour l’esprit, les sens, les neurones. Et à travers cette approche si sérieuse d’apparence, on perçoit, avec le jeu, la dimension essentielle de l’humour qui crée des rapprochements étonnants.

Au-delà de la réalité

Une première constatation s’impose : l’homme est le meilleur ami du cheval. Celui-ci est omniprésent, hiératique et proche. On imaginerait presque Ulysse, la mythologie en arrière-plan. Marc Desgrandchamps s’amuse à créer des possibilités au-delà de la réalité. Il déborde du figuratif qui, avec lui, ouvre d’autres dimensions, le rêve, la mémoire, le temps, les traces, dimensions qu’il fond dans son travail. Poésie en plus. Travail qui montre sans fermer. Les formes sont précises, quasiment du dessin. L’ouverture se crée par la juxtaposition ou par la contiguïté d’éléments étonnants : une barque en l’air, des dauphins tout proches du rivage, jouant sous le regard d’un cheval. Un arbre évoquerait Godot, l’attente, le temps qui passe, encore. Attente de quoi ? De ce long nuage blanc, traînée qui coiffe le tableau.

L’image, la représentation, le fantôme

Tout relève de quelque chose qui aurait trait aux fantômes. L’imago latine est aussi bien la représentation qu’une vision. Le fantôme n’en est pas loin. Présence et absence, transparence, apparition et disparition. Impossible concret ou concret impossible et pourtant bien là. Cette barque qui flotte dans le ciel, ces ombres totalement impossibles. Là un être qui émerge sous forme de reflet ou d’apparition. Des formes évoquent les statues grecques. Une jambe prend la teinte du tronc d’arbre voisin. Tout se confond, animal, minéral, végétal, parce que les teintes débordent, forment tresses enchevêtrées. Tout joue ensemble comme Marc Desgrandchamps, de qui le discours est d’une précision chirurgicale, semble, en fait, s’amuser à recomposer le monde. À mêler et raboter discontinuité et continuité.

Les temps

Il faut du temps pour remarquer les détails. Ils remontent peu à peu de la vision d’ensemble. Paul Valéry parle du temps passé à regarder une œuvre. Si la rencontre a réellement lieu en le regardeur et le regardé, toutes sortes de temporalités y jouent. Le temps consacré à la réalisation concrète du travail présenté, le temps de sa conception, tiré de la vie de l’artiste. Le temps du regard dans l’exposition. Celui de la vie du spectateur. Tous ces fils se tressent comme les traits de peinture sur les toiles. Marc Desgrandchamps nous embobine !

Le jeu

Jeu encore avec ce tableau nommé L’anniversaire. On n’y verrait aucune célébration, sinon de l’ennui, sans ce titre et la transparence suggérée d’une flûte. Plus loin, Le jour. Vue du ciel avec statue intégrée, mythe, une sorte de cartographie sur laquelle des détails minimes témoignent de la vie humaine. Ville, architecture semblent confetti disposés au hasard. Nos vies, avec du recul, seraient-elles ces simples images entraperçues ? Illustrations. Tout se fond alors que tout pourrait exister séparément. Les couleurs jouent entre elles, s’habitent l’une l’autre.

Sans titre

Amusant de relever que certaines toiles portent le titre Sans titre. Parmi la série de neuf tableaux, que j’appellerai Les neuf muses, l’un montre un cheval dont l’arrière-train est tronqué, hors-champ. L’homme qui le mène exhibe un sexe inattendu, qui accompagne le mouvement, semble tenir lieu de balancier. Drôle de centaure imaginé par le peintre !

Percer la surface

Mouvement et immobilité, ombre et transparence. La vie au-delà de la vie. La forme au-delà de la forme. Un monde composé de strates, de couches, de temps qui cohabitent, se superposent, s’interpénètrent. Le regard de Marc Desgrandchamps perce la réalité réduite à l’instant, à la surface. Il nous plonge dans des dimensions où notre imagination, notre sensibilité s’ouvrent à une exploration.

Sans titre, encore

Toutes ces ambivalences culminent dans ce tableau Sans titre. Un personnage,- homme, femme ?- dont le visage est bien présent mais invisible. D’autant plus saisissant qu’il est une sorte de Janus. Ombre sur un ciel toujours bleu. L’ensemble ne vise pas la perfection. Ce qui pourrait passer pour défauts y fait sens. La coulure, le trait volontairement malhabile. La barque – temps qui passe, représentation symbolique de Charon ?- se retrouve dans plusieurs toiles. Ainsi que la cabane. On y voit volontiers le refuge dont parle Pascal Quignard. Refuge, abri, moment de pose dans la respiration. Respiration à laquelle nous invite cette exposition. Elle est réalisée par la Fondation Salomon pour l’Art Contemporain.