Psychanalyse, la parole, le vide, le sens

Psychanalyse, la parole, le vide, le sens

18 mars 2021 Non Par Paul Rassat

Éloge du vide dans un monde saturé

La psychanalyse [et la parole]

…Il faut du fragmentaire épars hasardeux si on veut passer d’une idée à une autre dans le vide et risquer le sens toute honte bue. Si on dit que le patient est guéri dès qu’il peut associer librement sans angoisse, cela veut dire qu’il accepte en lui interruption, non-sens, chaos, vide, morcellement, non-savoir, rêve, hasard sans trop souffrir, dans le plaisir même, retrouvé, un peu hagard, d’errer de trace en trace.

   En d’autres termes, la discontinuité linguistique et la santé mentale sont peut-être inhérentes.

Pascal Quignard L’homme aux trois lettres

L’écriture coupe, ponctue, sépare, n’a pas de destinataire précis. La parole relie.

Mouvement et liberté

Ainsi, l’absence d’angoisse, étymologiquement de resserrement et donc d’enfermement apporte le plaisir d’errer. Errare, aller à l’aventure. Priorité au mouvement que soulignait lors d’une interview Delphine Horvilleur

Il ya dans l’Homme une permanence de l’éphémère et une disparition du durable.

Quel prix coûte à la grande majorité d’entre nous la stabilité et son corollaire la « sécurité » que nous vendent dirigeants, élus, responsables, décideurs ? Le prix de notre liberté, au point que nous revendiquons de celle-ci les formes les plus superficielles, les plus spectaculaires. Ce responsable du service des brevets d’une très grande entreprise expliquait que l’innovation principale doit être protégée par une multitude de brevets paravents. Il en va de même pour nos libertés. Elles nous sont escamotées en échange de sensations, d’ersatz. Le flot de paroles, d’images, de prises de position nous submerge, nous entraîne sans plus faire sens.

Fantasmes?
Œuvre de Yanika

Réagencer

   Le progrès marche droit devant, emportant dans son rythme effréné d’autres types de temporalité. Sans ce tempo impérieux, nous pourrions y être sensibles…   Le concept d’agencement peut nous aider….Les agencements sont des rassemblements toujours ouverts. Ils nous permettent de nous interroger sur des effets de communauté sans avoir à les assumer. Ils nous montrent la possibilité de tisser des histoires à partir de ce qui, toujours, est en train de se refaçonner… Les modes d’existence que nous considérons tiennent au fait qu’ils sont des effets imprévus, issus de rencontres….Les agencements ne mettent pas seulement ensemble des modes de vie ; ils en fabriquent. Penser grâce aux agencements nous oblige ainsi à nous demander : comment des rassemblements deviennent-ils parfois des « événements », c’est-à-dire quelque chose de plus grand que la somme des parties ? 

Anna Lowenhaupt Tsing Le champignon de la fin du monde

« Série je t’aime » : la parole fait sens

Rencontre avec Bruno Touzot de Zélicourt, psychanalyste, pour évoquer « En thérapie » que diffuse Arte.

Dans la série « En thérapie », le psy s’appelle Dayan, ce qui est une référence à son père Moshe Dayan. La série est d’origine israélienne. Le père fait la guerre et le fils répare les dégâts de la guerre, le traumatisme collectif causé par la violence. Collectif parce qu’il touche tous les gens agressés, de tous bords, chacun renvoyant ce traumatisme inattendu dans sa vie personnelle. C’est l’élément récurrent, destructeur d’une guerre qui est transmis de génération en génération. Dans la version française, ce sont les attentats, dont celui du Bataclan qui constituent ce traumatisme.

Le traumatisme

Si une société se construit avec un traumatisme, elle ne peut plus s’en libérer, il fait partie d’elle.

C’est pourquoi je pense qu’il faut limiter l’événementiel mémoriel pour éviter qu’il devienne une charge éducative génétique.  Les bébés doivent naître sans colère ni haine en eux.. La mémoire doit dépasser la trace. On doit pouvoir se reconstruire grâce à la mémoire et non pas avoir à se venger. Dans la série, mettre de la parole, convoquer les excès qui sont en chacun, permet de raviver la mémoire après les « explosions ». Celle-ci se réveille. Elle sort de son « paisible » endormissement, présentifie la personne face à ses problématiques.     

Se construire avec la violence

La violence obéit à des (im)pulsions qui nous détournent de notre propre ressenti ?

Ça me fait penser aux enfants qui subissent des violences mais qui vivent une crise terrible si on les sépare de leurs parents. Ils ne peuvent pas supporter la rupture du lien avec leurs parents. Même si celui-ci repose sur la violence, il reste le lien affectif de présence contre la peur de l’abandon.. C’est grâce à lui que la personne existe et se construit autour de l’indicible agi. À ce moment-là, la violence instrumentalise la mémoire et tous les comportements.

Parole et mémoire

La psychanalyse serait liée à l’hébreu ? La langue est une forme de transmission de la mémoire.

La langue hébraïque comporte moins de lettres que d’autres. Elle nous place face à des vides, à un rébus. Il y faut de la créativité pour construire le sens de ce que l’on dit. Ce vide est la plage blanche, une place qui contient tout ce qui existe. Nous donnons sens à notre mémoire, à ce qu’on a appris, au savoir. En se l’appropriant et en lui donnant sens, on devient sens soi-même et créateur.

Revenons à la série et à la parole. Les moments de crise permettent d’ouvrir la parole intime.

S’il y a violence, c’est pour ouvrir une porte. L’explosion rompt l’enveloppe qui enferme. Elle permet de s’ouvrir à soi.

La parole qui relie

Il faut trouver le véritable lien entre soi et la parole que l’on énonce.

La parole qui est du soi que l’on projette. Avec la Tour de Babel, il y avait une parole unique alors que chacun parle une langue différente, même en pratiquant la même. D’où des incompréhensions.

Plus on parle la même langue, moins on se comprend !

Parler pour exister

Notre langue s’amenuise en qualité et en discrimination. On parle trop pour être entendus et se comprendre. Lacan parle de moulin à paroles. Parler tellement pour dire ce qu’on n’arrive pas à dire fait qu’on n’est pas entendu. On ne peut plus s’entendre nous-mêmes. On n’arrête pas de dire parce qu’on n’arrive pas à trouver les mots. Un retour sur son propre fonctionnement est indispensable.

L’acte créateur

Il est possible de considérer que la création sous bien des formes est une activité privilégiée pour se trouver, pour se raccorder différemment au monde.

L’art permet d’exprimer des choses qui ne sont pas dicibles. D’où l’intérêt de l’art thérapie. (cf Mademoiselle Caroline) Nous sommes des individus de parole, de langage, d’échange. Lorsque l’art, par exemple, change les paradigmes de la communication, on produit quelque chose que le cerveau va pouvoir déchiffrer et mettre en paroles après.

Jean-Luc Verna avance lui aussi que ses images appellent la parole parce qu’il ne serait pas assez doué pour en produire qui parlent d’elles-mêmes.

Je verrais ce type d’image comme un gouffre, comme un trou qui absorbe tout. Un trou de créativité. Pour revenir à la thérapie, beaucoup du travail se fait entre les séances, l’inconscient y travaille et on s’en rend compte la séance suivante ou plus tard encore. Il produit un retour à une forme de vérité qui peut être totalement fantasmatique. L’important est que ça se construise.

Parole et symbole

Cette ouverture sur l’intime, cette reconstruction ne va-t-elle pas à l’encontre  de la gestion sociale, hiérarchisée et plutôt figée ?

Dans la série télévisée, le passage par la parole, par l’écoute, permet de recréer quelque chose de collectif. Certaines religions permettent, grâce à la parole, le passage du sacrifice au partage du pain et du vin. C’est la parole qui permet cette transmutation. On te donne un objet qui cannibalique qui te permet de manger symboliquement ton prochain !

Lors des funérailles du policier, dans la série, ses collègues un peu bourrins chantent du Brassens. C’est gauche, maladroit, primaire et touchant à la fois. Une saine régression.

Au GIGN, par exemple, les gens sont hyper performants. Ils doivent respecter à la lettre des processus et sont confrontés à la mort très souvent. L’odeur du sang, dans la série, est évoquée très fortement. Ces gars sont construits pour faire face à la violence et nous permettre de rester humains. Ils redeviennent humains, eux, en buvant un coup ensemble, en chantant, en partageant des plaisirs peut-être régressifs mais constructifs. En laissant place à la parole.