Marx, ô Marx
23 juin 2025Quelques extraits commentés du livre de Bernard Maris paru en 2010 Marx, ô Marx, pourquoi m’as-tu abandonné?
« Il faut bien comprendre que jamais, sauf peut-être pendant la période exceptionnelle des Trente Glorieuses, qui est une sortie de guerre…le capital financier n’a laissé la main. Jamais l’entrepreneur à la Schumpeter ( l’inventeur, le découvreur, l’homme artiste et créateur…) n’a été autre chose qu’un pion plus ou moins manipulé par le capital financier. Le gentil entrepreneur, qui fait rêver les socialistes par opposition au méchant capitaliste, est un peu comme ce chien qu’on promène avec cette laisse qu’il peut dérouler quelque temps avec l’illusion de la liberté. La rigueur des intérêts à remettre à son maître le ramène à celui-ci avec la commission qu’il vient de faire. » Même en se caricaturant lui-même, comme avec la banane de Cattelan, l’art continue de verser sa commission. Il est devenu commission. Marx, ô Marx, où es-tu? Tes analyses étaient justes, fausses tes conclusions.
Révolution ? Retour sur soi
« Les révolutions ont toujours échoué parce que la cadence des « forces productives » était en retard sur la musique des révolutionnaires. » Notre époque a inventé la révolution à l’étouffée. Le pouvoir, souvent conservateur, fait croire que le progrès, la réforme par tant désirés par lui pour le bonheur du peuple inconscient de son intérêt, capote à cause du peuple. « Les forces productives » ne suivent pas les espoirs autocentrés du pouvoir.
Le minimum et le superflu(x)
« La plus-value est la différence entre la quantité de travail nécessaire à produire les biens et la quantité de travail nécessaire à produire les biens pour reproduire l’homme et ses enfants, le « prolétaire ». La notion de prolétaire a disparu, comme le prolétariat. Faire disparaître le mot fait disparaître la réalité. Mais la « plus-value » existe toujours. Elle permet au non prolétaire de se reproduire et d’acheter le minimum nécessaire pour vivre, et aux autres d’acheter le superflu.
Le langage devenu objet stérile
« Les objets, extérieurs à l’homme, circulent par l’échange. Le langage universel de l’homme est désormais le langage des objets. Les marques s’échangent contre des marques. La pub est notre nouvel espéranto. Marques et pubs ont remplacé les mots par lesquels les hommes s’adressaient aux hommes, et la pensée est soumise au temps passé dans les embouteillages…Au-delà des objets, la médiation par l’argent, équivalent général des marchandises, achève de déshumaniser l’homme. C’est pourquoi les hommes se sont réifiés, et les objets humanisés. Les objets s’échangent contre les objets, la propriété privée s’échange contre de la propriété privée, tandis que l’homme a disparu de l’échange. Il ne peut plus voir ses semblables que comme des marchands, des offreurs d’objets, des marchandises sur un présentoir. »
Réifier
Croyant échapper à cette commercialisation qui englobe tout et réduit même l’homme à un objet, celui-ci s’est « réifié ». Un disque est un opus, n’importe quoi devient « culte », « mythique ». Toute production humaine est divinisée afin de faire oublier le règne de l’argent et des objets.
Éviter le refoulement
« …être riche, psychiquement, c’est se donner les moyens de manifester aussi aisément et fréquemment que possible ses volontés psychiques : surtout ne pas devoir les contenir dans les coûteux processus du refoulement. Car refouler est précisément ce qui fait augmenter le taux d’excitation psychique. D’où le malaise, le désagrément, l’agitation, toutes les névroses qui troublent les pauvres gens, alors qu’ils ont devant eux une classe de dirigeants si maîtres d’eux-mêmes, des cohortes d’experts et de porte-bouche si sereins dans leur ordinaire….
La monnaie, au sens courant d’une richesse thésaurisée par un système de codification socialement reconnu, allège ce « travail « de refoulement….De ce point de vue, être riche consiste à faire, plus souvent que lorsqu’on ne l’est guère, l’économie d’actes de refoulement. »
Alain Deneault La médiocratie
Anthropophagie

« Le meilleur moyen de s’approprier les vertus d’un homme est encore de le manger » (Lévi-Strauss). L’homme a fini par dévorer l’homme ; ainsi est-il devenu lui-même, au terme de la prophétie des philosophes. » Bernard Maris Marx, Ô Marx, pourquoi m’as-tu abandonné.
La fameuse et fumeuse théorie du ruissellement illustre à merveille ce propos. Ceux d’en haut se nourrissent de ceux d’en bas. Ils les digèrent et laissent ruisseler les rebuts de digestion qui alimentent ceux d’en bas. Et ceux d’en bas, par leur travail, nourrissent ceux d’en haut.
Dictature
Le capital a toujours aimé les dictatures. Il les a favorisées et s’en est toujours nourri…Les économistes modernes ( en tête desquels les prix Nobel Allais et Debreu) ont sué sang et équations pour démontrer l’identité entre un équilibre de marché et une économie parfaitement planifiée : lorsque le dictateur sait tout des citoyens, il réalise le même équilibre qu’aurait réalisé le marché parfait laissé à lui-même, à la « libre concurrence ». Le « dictateur bienveillant », version technocratique du « despote éclairé », est un concept affectionné de ces mêmes économistes modernes, qui voient le dictateur organiser de façon optimale la dépense publique, l’impôt, la lutte contre de réchauffement climatique par l’organisation de marchés libres, la régulation de la consommation et tutti quanti. Bienveillant ou non, le dictateur reste un dictateur, qui laisse le chien de citoyen dérouler sa laisse tant que cela lui convient…. »
Trump, Poutine, Xi Jinping, Netanyahu et d’autres savent jouer de la laisse et du fouet. On devrait se demander à quoi sert l’art aujourd’hui . Essentiellement à faire salon et à produire une langue qui accompagne le vide conceptuel auquel il se réduit. L’art ne serait-il pas l’expression culminante de nos sociétés de l’objet qui se nourrissent de l’homme et de discours creux? Est-ce qu’on nous vend du vent ? L’hybridation hier, la transmission et le partage aujourd’hui ; l’art patauge dans le petit bain du capitalisme. Comme la majorité d’entre nous.