Maurice Huet, un regard équilibré sur l’agriculture

Maurice Huet, un regard équilibré sur l’agriculture

3 septembre 2024 Non Par Paul Rassat

Maurice Huet a été éleveur, agriculteur, responsable ou président de diverses structures, à des niveaux très divers. Désormais retraité, il est toujours engagé. Sa vision globale des agriculteurs et de leurs problèmes débroussaille les messages des médias et les stéréotypes. Ceci a donné une rencontre très instructive à Massilly, dans le Clunisois.

Maurice Huet, vous avez été éleveur avant de prendre votre retraite.

J’ai repris l’exploitation de mes parents avec lesquels nous sommes restés en GAEC quelques années, avec mon oncle aussi. Nous avions essentiellement de l’élevage, des bovins, des ovins et un peu de polyculture. Avec le temps, deux nouveaux associés et moi nous sommes spécialisés dans la production ovine. Nous avons eu jusqu’à sept cents brebis, soixante vaches laitières et une cinquantaine d’hectares de cultures pour la vente. Les propriétés, situées sur les communes de Flagy et de Massilly, nous venaient de nos grands pères paternel et maternel. Effectivement, les ovins ne sont pas une tradition aussi ancrée que les charolaises, mais c’est ma production passion, qui nous a fait vivre, surtout lorsque nous avons vendu une partie de l’exploitation. Lors de la retraite de mon épouse en 2018, nous avons cédé l’exploitation ovine à un tiers extérieur à la famille. J’ai continué l’exploitation de Massilly avec des bovins allaitants et des cultures jusqu’en 2021.

Lorsque nous avons pensé à transmettre notre exploitation, ma fille et mon gendre ont décidé de la reprendre.

On entend souvent parler de problèmes de transmission dans le monde agricole. Chez vous, ça s’est bien passé.

Parce qu’on l’a voulu. La transmission est une affaire de volonté, ça se prépare. Il faut entretenir un outil en état de production. Souvent, quand les gens voient le bout, ils n’investissent plus et il n’y a plus grand-chose à transmettre. Nous avons investi jusqu’au bout…

Parce que vous aviez cet objectif familial.

Au départ, non. Nous imaginions que quelqu’un d’autre reprendrait notre exploitation et nous avons fait ce qu’il fallait.

Vous-même vous aviez reçu cette exploitation.

Je crois que cette vision va de pair avec mon engagement professionnel dans la filière ovine. J’ai toujours à cœur de promouvoir le métier, de bien faire les choses. Et puis j’aime bien transmettre ! J’ai fait beaucoup de choses, pris beaucoup d’engagements que j’ai assumés. À commencer par un petit club d’amitié-loisirs à Flagy pendant cinq ans, que j’ai transmis. Ensuite j’ai fondé la CUMA (Coopérative d’utilisation de matériel agricole).

Quel que soit le domaine, vous aimez bien créer et transmettre.

Et je n’aime pas m’incruster. Faire les choses pendant cinq à dix ans. Le pouvoir ? Je l’ai eu, je ne le recherche pas. Après la CUMA j’ai été président pendant dix ans de la coopérative qui collectait les ovins, dans laquelle j’avais été administrateur auparavant, dès l’âge de vingt-deux ans.

Vous n’aimez pas vous ennuyer.

Pas trop, non. C’est maladif et incurable ! (rires). À ma retraite, on est venu me chercher pour gérer l’hippodrome et les courses de Cluny. La situation était assez bas et il a fallu relancer la structure. Je me suis occupé de la filière ovine pendant toute ma carrière, à différents postes, pour terminer au niveau de l’inter profession ovine nationale, comme président. C’est très intéressant parce que l’on voit tous les aspects de la filière. J’étais venu par le côté production, mais il y a aussi les metteurs en marché de vif, les industriels et les abattoirs, les distributeurs comme les bouchers, la grande distribution.

Qu’avez-vous appris ?

À concilier l’inconciliable parce que les intérêts des uns et des autres sont très différents, voire opposés. Avec un petit budget venu des cotisations, on organise des actions qui vont dans le sens de tout le monde car il faut l’unanimité pour les décider. Ça donne beaucoup d’humilité et le respect du consensus.

C’est intéressant parce que ce que l’on apprend par les médias met en avant les oppositions, les heurts. Vous apportez une autre vision.

Regardez les dernières campagnes d’Interbev. «  Aimez la viande, mangez-en mieux. » Le budget d’Interbev est consacré à 70% à la communication qui met en valeur la qualité des produits, du terroir.

Tout ceci est passionnant, surtout lorsqu’il faut aller négocier avec d’autres pays européens. Nous avions négocié avec Bruxelles la campagne de communication pour l’agneau européen. Nous avions embringué les Britanniques puisque nous étions avant le brexit, et les Irlandais. Ceci nous éloigne de l’agriculture de base. Il est d’ailleurs difficile de parler de l’agriculture en général car elle est très diversifiée.

Quelles sont les spécificités du Clunisois ?

C’est un territoire assez diversifié, plutôt orienté vaches, bien que certaines zones soient plus mixtes. Le sud est destiné à l’élevage presque exclusivement, essentiellement bovin allaitant, conformément à la tradition du secteur.

Cette façon de faire est prospère actuellement ?

C’est assez compliqué, et ce que l’on dit un jour n’est pas forcément vrai le lendemain. On est rentré dans un système de gestion des marchés qui est devenu international. Le secteur ovin a été le premier sous OCM, organisation commune de marché. À partir des années 80, nous sommes passés d’un marché français un peu protégé à un marché mondial. Les compensations se sont peu à peu effilochées pour laisser place à un marché libéral. Le marché a été laminé, entre autres, par l’entrée du Royaume Uni dans l’Europe en 73. Le cheptel français a été divisé par deux et le nombre d’éleveurs par trois. Le marché des céréales, lui aussi, est complètement libéralisé. La situation actuelle n’est pas à l’avantage de la France.

Que dire de la crise agricole récente ?

Il est difficile d’être objectif. Il y a une réalité, ici ou ailleurs : les paysans ont le sentiment d’être assaillis de normes de plus en plus importantes. Ils ne se sont pas installés dans ce métier pour remplir des papiers. Ils ont la passion du vivant, végétal ou animal, ce qui s’accorde mal avec la passion de l’administratif. D’où un sentiment de rejet concernant des choses imposées par l’élite et qui ne sont pas vraiment partagées.

C’est différent, en revanche, quand des choses sont créées par la profession, comme des labels, des appellations d’origine. C’est la profession elle-même qui se crée des cahiers des charges pour différencier un produit. Ces contraintes, les agriculteurs les acceptent parce qu’elles tirent le marché vers le haut. Même si ces initiatives correspondent à des marchés de niche, elles tirent l’ensemble du marché vers le haut.

Les agriculteurs peuvent avoir le sentiment d’être mal aimés. Ce n’est pas le cas : tous les sondages d’opinion le prouvent. Avoir une vision d’ensemble permet de sortir d’une forme d’enfermement, de s’adapter parce que l’on comprend un peu mieux.

Au fond, ce n’est pas si mal, mais persiste ce malaise de la transmission, et le débat anti viande est prégnant. De fausses idées circulent. Il faudrait 15 000 litres d’eau pour produire un kilo de viande ! C’est complètement fallacieux. Ce chiffre correspond à la quantité d’eau qui tombe du ciel en une année sur un hectare, divisée par la production à l’hectare. Toute cette eau n’est pas destinée uniquement à la production de viande. Et moins vous en produisez à l’hectare, plus vous êtes mauvais en termes de rendement ! Des chiffres plus sérieux, calculés par la profession, montrent qu’il faudrait entre 50 et 100 litres d’eau pour produire un kilo de viande. L’eau du ciel continuerait de tomber même si l’on ne produisait pas de viande.

Les citadins n’ont plus la même relation à la nature et à la culture, au vivant. La viande se présente souvent en barquettes.

De plus en plus de générations séparent un citadin d’un agriculteur. Le problème du loup cristallise bien ces différences d’approches.

En gros , les citadins voudraient une nature « paradisiaque » où passer agréablement des vacances. Les gens de la campagne souhaitent, eux, bénéficier des avantages de la ville tout en vivant loin de celle –ci. Ajoutons les symboles religieux, les croyances…bien souvent les opinions sur la présence du loup relèvent de la croyance alors que les éleveurs ont, par la force des choses, une approche pragmatique.

J’ai une conscience écologique puisque l’on parlait d’écologie dès le lycée agricole. Je vais être un peu dur mais, pour moi, les écologistes sont un peu comme les supporters d’un match de football. Ce sont des fanatiques qui ne pratiquent pas et n’ont pas conscience de la globalité du système.

Il ne faudrait pas la segmenter dans le domaine politique, et puis économique…

Les écologistes se sont fourvoyés le jour où ils se sont mis à faire de la politique.

Peut-être parce qu’ils n’arrivaient pas à convaincre les politiques.

C’est l’histoire du chien qui se mord la queue.

Dans le Clunisois la transmission, la proximité de la nature relativisent ces problèmes. Mais tout ce que nous évoquons n’est-il pas le signe que la société est à un tournant ? Les bergers de Jean Giono ont disparu.

Sur la façade de l’auberge Larochette, Bourgvilain

Ils existent encore un peu dans la partie sud des Alpes où les troupeaux transhument. Des salariés bergers les surveillent, mais on a de plus en plus de mal à en recruter. Les pro loups sont souvent pour une production naturelle. Et ils provoquent l’inverse : pour ne pas être embêtés avec le loup, les éleveurs maintiennent leurs moutons dans des bergeries. Ne pas réfléchir assez loin fait prendre des décisions qui vont à l’inverse de ce que l’on voudrait.

Quelle évolution voyez-vous pour le futur ?

Il y a deux axes opposés qui correspondent aux deux mouvements perpétuels de concentration et de réduction. Même si intellectuellement les très grandes fermes posent problème, l’absence de repreneurs d’exploitation, la pyramide des âges nous y conduisent.

Vous êtes un pragmatique.

J’essaye. À côté se développe une agriculture de proximité intéressante même si son fonctionnement est assez difficile en dehors des zones d’appellation. Dans notre secteur se pratique la vente directe de fromage de chèvre, un peu de viande…

Sur les marchés.

Il n’y a  pas tellement de producteurs sur les marchés. Les cantines ont du mal, elles aussi, à trouver des producteurs locaux. Il est très difficile d’être à la fois producteur, transformateur et distributeur. Ce sont des métiers très différents. Et puis la grande majorité de la population vit dans les villes ; on ne peut pas lui demander d’aller chercher ce type de production. Il y a des choix de société : on privilégie plutôt le smartphone, les vacances…plutôt qu’une alimentation de qualité. Comme les gens consacrent environ 14% de leur budget à l’alimentation, il faut des filières qui sachent répondre aux besoins des gens qui n’ont pas de gros moyens.

L’arrivée des agneaux néo zélandais m’a fait mal ; mais je me suis dit que le consommateur pouvait y trouver son compte. Libéralisés avant tous les autres, les producteurs d’ovins ont été des précurseurs. J’ai toujours été à la recherche d’équilibres.