Nouveau départ

Nouveau départ

12 septembre 2023 Non Par Paul Rassat

Rencontre à Annecy avec Philippe Lefébvre, réalisateur du film, et Franck Dubosc pour parler du film Nouveau départ, pour parler chacun de soi et des autres car le sujet du film touche chacun d’entre nous : comment vivre en couple après le départ des enfants ?

On peut voir dans ce qui est une comédie sociale pas mal de références. L’hypothèse des sentiments renvoie à Jean-Paul Enthoven. Le nom Huysmans à la grande littérature. Le roman Feu…

PH L. Parce que j’ai co-écrit le film avec Maria Pourchet qui est l’auteure de ce roman. C’est un clin d’œil que je lui fais. Elle a co-crit aussi L’enchanteur. Pourquoi j’ai choisi de traiter de cette période de la vie ? Parce que c’est celle que je vais vivre. Je sais la place que les enfants prennent dans un couple et je vais découvrir ce qui se passe à leur départ. Je l’appréhende un peu. Le sujet est universel, comment faire durer un couple, la passion.

On peut considérer le passage avec François Berléand comme le passage clé du film. Il y est question de capilliculture à la turque, du vrai qui paraît faux. Ceci pose la question «  Comment être soi ? Ne pas être faux ? »

Il est difficile d’être soi-même. Il faut bien se connaître. On réalise parfois après coup seulement qu’on ne l’a pas été, parce que l’on a été pris par les circonstances.

F D. Je crois que c’est plus «  Ne pas être l’autre  qu’être soi-même. » Les retours des spectateurs montrent que chacun voit le film à travers son propre filtre : le sexe, l’âge. Quand on vit en couple, il faut voir ce que l’on est soi, ne pas être l’autre, redevenir un tout petit peu égoïste, savoir que l’on va redevenir à deux alors que la présence des enfants avait aboli le couple. Est-ce qu’on va être capable de continuer à aimer en se retrouvant à deux ?

PH L. Pour aimer l’autre, il faut s’aimer soi-même, mais pas trop. Ce n’est pas une science exacte. Le sens de la vie pourrait être de trouver le bonheur, c’est-à-dire une pause entre deux emmerdes.

Outre les références déjà citées, pourquoi pas Marivaux ? Et Philippe Lefèbvre de citer les risques des stratagèmes mis en place. Le personnage d’Alain construit une stratégie qui lui fait réellement rencontrer quelqu’un…Est-il possible, souhaitable, de contrôler les hasards de la vie ?

La musique constitue un élément très important du film. Quand Alain, joué par Franck Dubosc, fait écouter au nouveau né son jeu au piano, une complicité renaît. Le couple ne s’entend pas et se retrouve par ce biais.

La musique est un ciment important du couple. Ils s’amusent à faire des blind test. Au moment où ils n’ont plus d’enfants, ils se mettent à parler dans le baby phone et à s’entendre de nouveau. L’objet est détourné vers le flirt.

Les enchaînements pendant le film sont remarquables. Deuxième degré, ambiguïtés, quiproquos, et le tout est très fluide. Chaque spectateur peut voir le film en fonction de ses références, de son degré d’humour.

PH L. La majorité du public a pour l’instant entre 40 et 60 ans ; les plus jeunes ne voient que la comédie. La comédie de leurs parents qui les amuse beaucoup.

FD. Les gens de 25 ans adorent ça.

Réflexion commune : comment revenir, après le départ des enfants, à celui ou celle que l’on a été ?

FD. Retrouver qui on était, est-ce que c’est possible ? Je suis dans la situation où mes propres enfants vont partir. Est-ce que je vais chercher celui que j’étais avant, ou bien celui qui a été nourri de ce qu’ils m’ont apporté ? La deuxième solution est plus intelligente. Je ne sais pas comment je vais réagir, mais je pense que si je veux rester avec ma femme la deuxième option est préférable. Ce n’est pas un nouveau départ mais un redépart.

Un personnage du film dit qu’il cherche à devenir la meilleure version de lui-même.

 PH L. Dans les histoires de couple, ce n’est pas l’autre qui a changé, c’est nous. Ce que l’on reproche à l’autre, c’est ce que l’on a aimé au début.

FD. On a cru qu’on pourrait le changer.

PH L. On ne change pas les gens, on en change. C’est pour ça que les gens se séparent.

[Il est question à un moment, de remettre du danger, du risque dans sa vie. Ceci fait inévitablement penser à quelques lignes écrites par Anne Dufourmantelle dans   Éloge du risque. « Et si le risque traçait un territoire avant même de réaliser un acte, s’il supposait une certaine manière d’être au monde, construisait une ligne d’horizon…Risquer sa vie c’est d’abord, peut-être ne pas mourir. Mourir de notre vivant, sous toutes les formes du renoncement, de la dépression blanche, du sacrifice. »

Et ce que détermine le risque « n’est pas seulement l’avenir, mais aussi le passé, en arrière de notre horizon d’attente, dans lequel il révèle une réserve insoupçonnée de liberté. »

Ainsi dans le risque se rencontre la liberté, le désir qui désarme l’idée de répétition et ouvre à l’aventure. Anne Dufourmantelle nomme « ligne de risque » cette conversation entre passé, présent et avenir qui repose sur le désir.]

FD. Quitter l’autre, comme le fait le personnage d’Alain est le maximum de ce jeu brûlant qui nous semble indispensable à la séduction. Ce film est une comédie, on rit, mais la profondeur permet de ne pas s’arrêter à la comédie. Les gens rient, versent éventuellement une petite larme et puis ils discutent, ne sont pas d’accord. Cette dimension philosophique est assez rare.

L’amour comme une décision, ou bien en version plus romantique et improvisée, c’est l’une des questions que suscite le film. Il est évident que la discussion avec Philippe Lefèbvre et Franck Dubosc traite du film mais se nourrit de nos vies personnelles. C’est un signe d’intérêt et de réussite.

Rater mieux

Pourquoi ne pas conclure en citant Samuel Beckett «  Essayer encore. Rater encore. Rater mieux » qui fait écho à cette meilleure version de soi ? La formule est profondément optimiste. Elle convient d’ailleurs mieux d’une autre façon, à ce qu’écrit l’un des personnages du film «  Tu m’as manqué. » Rater, rater mieux et s’améliorer, manquer sa cible, manquer en provoquant un vide, un besoin ? La discussion est ouverte !