Ordre et désordre

Ordre vient du latin ordo «  rang, rangée, classe de citoyens ; succession, distribution régulière ». D’après le TLFi, l’ordre est d’abord « Disposition, relation intelligible entre les choses avant de devenir une forme de hiérarchie. » La langue offre souvent plusieurs possibilités de sens d’où naissent des confusions, du désordre. Le plus intéressant est d’y retrouver son chemin. Voire de l’inventer. Ce faisant, nous suivons la voie de l’écologie en créant sans cesse de nouveaux équilibres nés de la rencontre du désordre et de la recherche d’un ordre. Pas de l’ordre, mais d’un ordre parmi d’autres possibles. Dans cette démarche se rejoignent l’écologie de la nature, celle de l’esprit, donc de l’Homme.

Agro Philosophie

Piochons dans le terreau fertile du livre écrit par Gaspard Kœnig AGRO philosophie Réconcilier nature et liberté.

Premier principe : l’humus

« L’évolution naturelle n’est possible que par la dégradation et la recomposition des matières organiques au sein de l’humus. Ce cycle permanent donne un sens immanent à la mort et donc à la vie, congédiant le sentiment de l’absurde et ouvrant la voie à une amélioration continue. L’action humaine n’est légitime qu’en respectant cette logique circulaire. Est mauvais tout ce qui n’est pas re-cyclable.

Deuxième principe : le sauvage

Pour échapper à un face-à-face claustrophobique avec elle-même, pour s’affranchir du paradigme bureaucratique, l’humanité a besoin d’espaces de non-culture : pommiers sauvages, forêts primaires, réserves animalières. La simple existence d’une telle extériorité radicale, même lointaine et inaccessible, est la condition de la pensée autonome et, politiquement, de la désobéissance civile. »

Troisième principe

Le progrès doit inclure l’homme, la nature et l’accroissement de leur diversité pour dépasser l’opposition entre nature et culture. Le mot « intrication » apparaît alors dans le texte  de Gaspard Kœnig. C’est l’un des principes de la physique quantique. Tout est « intriqué ». Deux particules ayant été en contact gardent celui-ci en elles même si elles se retrouvent éloignées. Chaque monade est en relation avec l’univers. «  Tout est en tout et réciproquement» et ce n’est pas une boutade.

Ordre & désordre nécessaires

En économie

Bernard Maris écrit « En fait, il n’existe pas une réalité économique : la réalité économique est à la fois construite et négociée. Elle est le produit de luttes, de conflits. Elle aboutit à des conventions économiques… » (Petits principes de langue de bois économique)

Pour la langue et la pensée

Le Français dit que l’appétit vient en mangeant, et ce principe expérimental reste vrai si on le parodie en disant que l’idée vient en parlant…C’est une chose toute différente lorsqu’avant tout discours la pensée est déjà achevée dans l’esprit. Alors l’esprit n’est occupé que d’expression et ce travail, loin de le stimuler, a plutôt pour effet de calmer son excitation.

    …Si donc une idée est exprimée confusément, il n’en résulte pas du tout qu’elle ait été pensée de même : il ne serait pas impossible que les idées les plus confusément exprimées fussent les plus clairement pensées… » ( Von Kleist)

À mettre en regard du fameux « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement » de Boileau.

Dans quel ordre et quel désordre ?

L’œuf ou la poule ? Les deux ! Le désordre permanent n’aboutit à rien. L’ordre imposé fige et finit par détruire. S’il domine et consent à quelques poches de « désordre » artistique ou culturel, celles-ci ne sont que des faire-valoir. Les oppositions et contradictions ne sont le plus souvent qu’apparentes. Un peu de hauteur de vue permet de les dépasser. Dans Héraclite, le sujet Jean-François Billeter reprend : « Pour les esprits éveillés, il y a une réalité…une et commune. Les dormeurs, eux, se détournent chacun vers son propre monde.

L’utilité de l’inutile

Rejoignons le manifeste de Nuccio Ordine L’utilité de l’inutile. Le désordre est indispensable à l’ordre et réciproquement. Comme l’inutile à l’utile. « De fait, ronces et chardons, si nuisibles nous paraissent-ils au premier abord, remplissent des fonctions écosystémiques essentielles. Les premières constituent… »des fourrés de colonisation » qui permettent aux graines de germer à l’abri et aux plantules de pousser sans être dévorées par les herbivores…. » Les ronces sont promesse de forêt future, comme la confusion est source de pensée claire. L’otium, la paresse et l’ennui permettent aux idées d’éclore, de germer et de pousser. La rentabilité immédiate est un leurre. Nous sommes des êtres complexes en relation avec un monde complexe. À chaque instant nous continuons d’apprendre à marcher. Ordre, désordre ; déséquilibre, équilibre.

Mouvement

« C’est pourquoi le sage ne suit pas (le langage), mais se laisse guider par la manifestation des choses : il adapte son langage au changement. » Court traité du langage et des choses tiré du Tchouang-tseu par Jean-François Billeter. Billeter qui note plus loin : « Les nasses servent à attraper le poisson, on les oublie quand le poisson est pris. Les pièges servent à attraper les lièvres, on les oublie quand on a pris les lièvres. Le langage sert à attraper ce qu’on veut dire, on l’oublie quand la chose est dite. Ah ! comme j’aimerais rencontrer quelqu’un qui oublie le langage pour m’entretenir avec lui ! »