Nuccio Ordine « L’utilité de l’inutile »

Nuccio Ordine « L’utilité de l’inutile »

3 juin 2022 Non Par Paul Rassat

Ce titre, L’utilité de l’inutile » constitue un superbe oxymore. Il nous permet de prendre le contrepied des évidences que l’on nous sert pour que nous acceptions de « voir la réalité en face ». lors que , Talpa ne cesse de le répéter, la réalité se vit en immersion, nous en faisons partie et ne pouvons la voir en face. D’où, entre autres, Picasso, Braque et le cubisme et la physique quantique. La réalité bouge, danse. Dans un souci de gestion maîtrisée, on nous fait croire que le chemin le plus court entre deux points est l ligne droite. En géométrie, oui. En géométrie seulement. De la ligne droite est né le flux tendu, si tendu qu’il nous épuise. Rappel. « Errare humanum est. » Errer, partir à l’aventure est humain. L’aventure est humaine autant que le rire.

L’aventure

« Pour toute la beauté

jamais je ne me perdrai

sinon pour un je ne sais quoi

qui s’atteint d’aventure »

Pierre Soulages aime citer Jean de La Croix et dit lui-même « C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche. »

Être curieux, aller à l’aventure, risquer de se perdre pour se trouver, sortir parfois et même souvent des sentiers battus qui devraient eux aussi se regrouper en une association de défense contre les évidences, le pré fabriqué, le pré digéré, le pré paré.

La joie de créer

 Nuccio Ordine écrit « …c’est probablement sur une telle  «  simplicité », uniquement motivée par une joie authentique et éloignée de toute aspiration au profit, que repose la créativité qui donne naissance à ce que nous appelons la littérature… » Cet acte gratuit et inutile est indispensable pour concurrencer la loi du marché qui domine nos sociétés.

« Dante et Pétrarque ; la littérature ne doit pas être soumise au principe de rentabilité. »

Dante

« On retrouve d’ailleurs cette idée déjà clairement formulée par certains pères fondateurs de l littérature occidentale. Pour ne prendre qu’un exemple, Dante condamne dans son Banquet ces prétendus lettrés qui « n’acquièrent pas les lettres pour l’usage de celles-ci, mais parce que grâce à elles ils gagnent argent et dignité ».

Pétrarque

« Autrement dit, les « Lettres » n’ont que faire de visées utilitaires qui n’auraient pour objet que la vile accumulation de l’argent. » Avis  énoncé aussi par Pétrarque dans le Chansonnier

La table, le sommeil, les plumages oiseux

Ont du monde banni toute vertu,

Si bien que de sa voie est presque détournée

Notre nature par coutume vaincue.

Et si bien est éteinte toute clarté bénigne

Venue du ciel, par quoi prend forme humaine vie,

Qu’on montre du doigt comme miraculeux

Qui veut de l’Hélicon faire naître rivière.

Quel désir de laurier ? Et quel désir de myrte ?

Pauvre et nue tu t’en vas, philosophie,

Dit la tourbe au vil gain entendue.

Sur l’autre voie, tu auras peu de compagnons,

D’autant plus te supplie, ô noble esprit,

De ne point laisser là ton action magnanime. »

Et les autres Italiens

Plus tard, Leopardi annonce la création d’un journal. « Notre Journal n’aura aucune utilité. » Indispensable au siècle de l’utilité qu’était le 19°. Boccace avait avancé en son temps qu’il y avait plus à faire, pour son époque à créer des fables qu’à gagner son propre pain. Quant à Italo Calvino, il écrit, toujours cité par Nuccio Ordine « Souvent l’engagement que les hommes mettent dans des activités qui semblent tout à fait gratuites, sans autre but que le divertissement ou la satisfaction de résoudre un problème difficile, se révèle comme essentiel dans un domaine que personne n’avait prévu, avec des conséquences qui peuvent aller loin. Cela est vrai pour la poésie et pour l’art, de même que pour la science et la technologie. »

Conclusion

En déclarant « Je veux être futile à la France » François Morel ne se montrerait-il pas plus utile que tout un gouvernement ? Pourquoi ne pas instaurer un ministère de l’inutilité ?