Penthésilée au Festival de Malaz

Penthésilée au Festival de Malaz

26 juin 2025 0 Par Paul Rassat

Après avoir vu une représentation de Penthésilée lundi 23 juin en ouverture du Festival de Malaz, rencontre le lendemain avec Hugo Roux, metteur en scène et directeur du Festival. Ce premier article sera suivi prochainement d’un entretien avec une actrice et l’assistante de Hugo pour la mise en scène de Penthésilée ainsi que d’un regard sur la situation de la culture, les enjeux de celle-ci.

Pourquoi avoir choisi Penthésilée pour ouvrir le Festival de Malaz en 2025 ?

J’ai un lien particulier avec cette pièce. J’étais encore étudiant à l’ENSATT.  C’est comme assistant à la mise en scène avec Jean-Pierre Vincent  que j’y ai donné ma dernière contribution. Il s’agissait de la pièce de Marivaux Le legs. Ce travail scolaire a permis de développer une très belle relation avec Jean-Pierre qui était pour moi un maître à penser. Parallèlement il travaillait sur Penthésilée parce qu’il avait toujours plusieurs projets dans sa besace. Il prenait des notes, produisait énormément de matière. Tous les weekends il m’envoyait des pages de notes, me demandait de relire, de dire ce que j’en pensais. Vu l’intelligence de ces notes, je n’avais pas grand-chose à dire, mais j’étais dépositaire de cette matière. Il voulait réaliser un projet avec 35 élèves d’écoles supérieures mais n’y est pas parvenu : il est mort du COVID.

J’étais donc dépositaire de ces notes qui avaient à mes yeux une valeur inestimable, je ne savais pas trop qu’en faire. J’aurais peut-être pu monter ce projet dans un cadre professionnel mais il m’ a semblé plus intéressant d’entrer dans une double transmission : partir de ce que Jean-Pierre m’a transmis pour moi-même le retransmettre. Dans une forme de relais. J’ai donc proposé  le projet au directeur au sein de laquelle j’avais été acteur alors que j’étais étudiant, l’École Départementale de l’Essone. C’est devenu le spectacle de sortie du Groupe 18. Nous avons donné deux représentations à la Scène Nationale d’Évry…et nous voici à Malaz !

Pourquoi ce spectacle ? Parce qu’il fait partie de la dramaturgie allemande de fin 19°, début 20° siècle sur laquelle j’avais déjà beaucoup travaillé : Horvath, Buchner, Brecht… Je ne m’étais encore jamais confronté à Kleist chez lequel il y a une dimension romantique, épique, une langue magnifique, comme contenue et qui semble vouloir exploser en permanence pour déchirer les enveloppes charnelles des personnages tellement elle les brûle de l’intérieur. Avec toute cette histoire de cannibalisme, de désir et ses enjeux philosophiques. Il me semblait important de travailler avec de jeunes comédiens sur la question du genre, sur cette matière qui apparaît aujourd’hui comme misogyne et sans doute anachronique. Ces textes sont peu montés parce qu’ils contiennent en eux-mêmes une sorte de modèle sociétal dont on ne veut plus aujourd’hui. Je me suis dit « Balançons-le en pâture à des élèves de 17,18 ans et voyons ensemble…
Tu ne l’as pas balancé en leur laissant faire ce qu’ils voulaient. Tu es intervenu.

Très peu. Ce serait bien d’en parler avec des actrices parce qu’elles se sont plaintes que je ne les dirigeais pas assez. «  On produit, on produit, il ne nous parle pas ! » Pour moi, le rêve d’un metteur en scène est de n’avoir rien à dire ! Il faut réunir les bons ingrédients, le bon texte avec les bonnes personnes dans le bon lieu et permettre que l’alchimie advienne. Mon rêve est de voir les choses se faire depuis les gradins, après avoir participé, évidemment, mais pas de manière volontariste.

De voir incarner les hésitations, les fluctuations des personnages. Leur profondeur humaine.

Kleist dit que la pensée vient en parlant comme l’appétit vient en mangeant.

Dans le même texte il s’oppose à Boileau pour qui « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ». Pour Kleist, ce qui s’énonce clairement est déjà de la répétition, et il ajoute « :.. il ne serait pas impossible que les idées les plus confusément exprimées fussent les plus clairement pensées. » Novarina reprend ce propos.

Oui . Kleist travaille sur la répétition , jouer deux cents fois la même pièce dans un hic et nunc ; tout se joue maintenant, au présent. Même si son écriture peut paraître confuse, elle dégage une forte puissance, une humanité incandescente.

C’est le texte de Kleist qui vous a fait vous choisir, les acteurs et toi ?

Je leur ai proposé la pièce, le projet. Ils auraient pu refuser, j’aurais amené autre chose. Je voulais être sûr que la matière leur convenait. L’enjeu du travail que j’essaye de développer, c’est que les actrices et les acteurs soient les chevilles ouvrières. S’ils ne rencontrent pas l’écriture, rien n’est possible. Ils l’ont rencontrée de façon puissante ; après, il faut développer un vocabulaire commun. Au début on ne sait pas comment se parler, se guider dans des choses tellement spirituelles, intimes. Le théâtre actuel souffre beaucoup de cette pensée qui voudrait que l’acteur mobilise les moteurs intimes, que son jeu doit être en lien avec son identité, son histoire personnelle. Les gens ont besoin, au contraire, de retrouver véritablement un théâtre populaire avec de grands textes, de grandes écritures. J’ai bien conscience que les enjeux de Penthésilée sont difficiles. Plusieurs spectateurs m’ont dit : «  J’ai rien compris mais c’était vachement bien. » Une partie du boulot est faite. Ils entendent la poésie et en revenant ils vont finir par se limer la cervelle à ces écritures, au sens où le disait Montaigne.

On parle beaucoup actuellement du spectacle vivant. Penthésilée en est un bon exemple : faire vivre un texte, une langue, des acteurs en leur faisant confiance…

Oui, la culture populaire, Penthésilée et le Festival de Malaz vont dans ce sens.