Rachid Benzine « Voyage au bout de l’enfance »  

Rachid Benzine « Voyage au bout de l’enfance »  

2 mai 2022 Non Par Paul Rassat

Quand j’ai prononcé le titre de ce livre pour me le procurer, mon interlocuteur a mal compris. « Voyage au bout de l’enfer ? C’est un film. » L’aventure commençait donc par un lapsus. Par l’action, étymologiquement, de trébucher, par une erreur. On connaît la formule « Errare humanum est, perseverare diabolicum. ». L’erreur est humaine, il est diabolique d’y persévérer. Ce Voyage au bout de l’enfance, de Rachid Benzine, dénonce cette erreur devenue faute que constitue l’islamisme radical.

Question de point de vue

70 pages de texte. C’est léger pour un livre. Mais profond, pesant, prégnant. Du poids qui va à l’essentiel. On pense à Matin brun de Franck Pavloff, à Indignez-vous de Stéphane Hessel. Par l’écriture, le regard, Romain Gary // Émile Ajar n’est pas loin. Le regard d’un enfant, sa candeur bousculée nous renvoient aussi au Candide de Voltaire, à Montesquieu et à son texte ironique sur l’esclavage. Le récit de Rachid Benzine est un long poème né de l’enfance et de la poésie.

Retour à la source

À la télévision, Rachid Benzine déclarait « La poésie ne change pas le monde mais notre relation au monde. » Beaucoup se demandent à quoi sert l’art, la culture. Ce qui n’est pas immédiatement utile, rentable, serait disqualifié. Mais c’est pour cette raison qu’on en arrive à des aberrations telles que le fanatisme. À l’opposé ou avec le «  tout utilitaire » fleurissent des discours irrationnels qui faussent notre relation au monde. Propagande, intimidation, peur, totalitarisme, hypocrisie sont autant de couches en trompe l’œil qui nous coupent d’une relation personnelle, directe à notre propre existence. La poésie est ce lien sans intermédiaire. D’où sa densité, sa force. Elle n’est pas cette pose, cette affectation du discours qui fait prendre la forme pour le fond. Il ne suffit pas d’écrire des alexandrins pour être poète. Le livre de Rachid Benzine est écrit en prose.

La poésie ?

Voici ce qu’Andrea Marcolongo écrit de la poésie dans Étymologies pour survivre au chaos. « Il n’y a rien de plus naturel, ni d’humain, que de faire de la poésie…seulement de la sincérité. Pour dire, d’une manière plus sublime que d’habitude, que nous ressentons quelque chose. Le contraire de la poésie n’est pas la prose, mais l’ataraxie– ne rien ressentir du tout face à un coucher de soleil, un vers de Callimaque ou un film de Fellini. » Et l’auteur d’opposer à cette émotion directe la répétition de mémoire. Il faut au contraire privilégier le « faire ». Pas le faire politique mais la fabrication poétique du monde et de soi. La construction de son identité afin de ne pas migrer de Fabien à Farid ou de Patrice à Abdel.

« Haroun et la mer des histoires »

Il y a bien sûr du « Petit Nicolas » dans l’écriture de Rachid Benzine. On pense aussi très vite au livre de Salman Rushdie Haroun et la mer des histoires. Récit, conte fantastique, poétique, œuvre philosophique pour tous âges. Le père d’Haroun est conteur, abonné à la source des histoires. Mais un jour le robinet des histoires demeure sec. Il s’agit alors de remonter à la source, à la mer des histoires. Combat entre la lumière et l’obscurité, l’imagination, la poésie et l’obscurantisme. Qu’on pense aux témoignages reçus des camps de concentration, aux maquis de la Résistance et à l’importance vitale de la culture !

Inventaire à la Prévert

Victime d’un vol dans le camp où ils survivent, la mère du narrateur imaginé par Rachid Benzine semble perdre la raison et ressasse la liste des objets dérobés. « Quand maman commence sa liste : sept boîtes de fèves, onze boîtes de houmous, deux boîtes de carottes petits pois, une bouteille d’huile d’olive de quatre cent cinquante millilitres, je rajoute «  et un raton laveur ». Un sachet d’épices zaatar, cinq cent grammes de sucre, dix kilos de riz qui reste cru au milieu même après une longue cuisson, « et un autre raton laveur »…C’est rare maintenant que maman arrive à finir sa liste. Elle éclate de rire au moment de « et un raton laveur » et elle revient dans notre monde en me serrant contre elle. Je suis heureux et je fais une prière pour que Jacques Prévert soit au paradis. »