Roland Topor, Annecy

Roland Topor, Annecy

17 mai 2025 0 Par Paul Rassat

La Fondation Salomon expose Roland Topor. C’est l’occasion de re-découvrir cet artiste dont la précision du trait et du regard permet une multiplicité d’interprétations. C’est aussi l’occasion d’en discuter avec Xavier Chevalier qui réalise l’installation, avec Jean-Marc Salomon, la galeriste Anne Barrault, avec Nicolas Topor, fils de Roland, et de citer la contribution de Charlotte Debraine aux côtés de Xavier et de Jean-Marc.

D’une exposition l’autre

Les tons chauds qui habillent les murs pour recevoir les œuvres de Topor, les cadres en moulures disposées à même ces murs créent une ambiance gentiment bourgeoise, rassurante. Après l’exubérance de Kokou Ferdinand Makouvia, l’installation mêlant le mouvement du baroque et la force de l’Afrique, retour au calme ! Apparemment. Ce cadre ? C’est pour mieux t’attraper, visiteur ! Bienvenue dans cette ancienne abbaye où tu pensais te recueillir. Apprivoisé, tu passes d’œuvre en œuvre, y plonges et en ressors tout retourné. L’astuce de la scénographie rejoint celle de Topor, la double et l’accompagne. L’effet n’en est que plus remarquable.

Faire la bombe?

On aurait envie de se poser, de tenir salon et de dire toutes les vacheries bienveillantes d’une conversation dominicale autour de la table. Ça fuse gentiment car le trait de Topor, pourtant vif, atténue l’ironie. Faisant remarquer cet écolier qui s’allège de ses cartables pour aller découvrir la vraie vie entre les jambes d’une femme et la dimension provocatrice de la chose, je m’entends répondre : « Oui, il faudrait cacher les cartables. » Le ton est donné, celui des murs, celui de l’exposition.

Conversation avec Xavier Chevalier encore en train de peaufiner l’installation Topor

« Le succès de l’exposition Anima présentée à La Fabric nous a encouragés à continuer avec des œuvres de Topor. Nous avons pris contact avec la galerie Anne Barrault qui a immédiatement adhéré à notre proposition. Et puis nous nous situons presque jour pour jour un an avant l’exposition Anima II ici, à l’Abbaye. Dans ce fil conducteur nous impliquons les structures du réseau. Ce qui permet de sortir des trésors des tiroirs de l’Artothèque ; le Musée-Château, Images Passages, le Théâtre de l’Échange font partie de cette aventure collective à l’initiative de la Fondation.

Ceci permet de mettre en valeur beaucoup d’aspects du travail de Topor qui est plasticien, artiste, poète… Le challenge est de relever le côté décalé de ses œuvres, faussement classique et de l’accompagner dans la monstration. Il faut jouer avec l’Abbaye, une fois de plus, avec le lieu pour y poser une proposition scénographique de la Fondation. Effacer ou bien jouer des voûtes et des colonnes fait partie de l’enjeu. D’où la dimension domestique avec le choix des couleurs, les moulures…

Qui répondent à l’ironie de Topor.

Et se moquent des piliers de l’abbaye et des fausses voûtes.

Talpa assume pleinement le parallèle qui suit : nous ne sommes pas loin de l’atmosphère d’une maison close avec cette dimension faussement bourgeoise. Pas loin non plus d’une des deux explications données à l’appellation” Pont des Amours.”

Il sera intéressant de guetter les réactions des visiteurs. Certains sentiront le décalage, d’autres seront rassurés.

Tirage de têtes

Et toi, comment vis-tu cette installation?        

Chaque fois c’est viscéral, de l’ordre animal. Sentir la transformation du lieu et se dire de façon assez primaire: “ Ça marche” ou “Ça marche pas.” Ça vient des tripes, comme chanter punk, ou comme le démarreur de la voiture qui marche ou non. La virtuosité ne suffit pas, il faut une alchimie.”

Alchimie?

Cette alchimie apparaît au fil des expositions réalisées par la Fondation Salomon à l’Abbaye. Elle la dépasse même, puisque l’on retrouve avec Topor les grandes heures du haras d’Annecy et la projection de la video Inverso Mundus. Ce qui les relie? L’axe du carnaval qui traverse toute la culture occidentale, comme le relevait Mikhaïl Bakhtine. On le retrouve chez Rabelais, Maupassant, Zola et bien d’autres. Les excès, les masques et mascarades, l’inversion des valeurs, des sexes…tout est permis pendant le carnaval qui déborde le surréalisme et l’introspection.

Jean-Marc Salomon

“Il y a un réel plaisir à remontrer un artiste  qui a eu beaucoup de succès dans les années 70/80. Dont le dessin est très fort. C’est d’autant plus intéressant à notre époque où tout devient lisse. La relation entre Topor et Annecy est évidente, par l’intermédiaire du cinéma d’animation. Cette exposition ne montre qu’une infime partie de ses facettes; mais il était important de montrer le travail de cet “homme-monde” pendant la période du Festival du film d’animation.

On peut voir dans la production de Topor un lien avec l’Inverso Mundus que vous aviez projeté au haras il y a quelques années. Le thème du carnaval, des masques,  des excès, du monde à l’envers, de l’ambiguité.

D’où l’idée de présenter Topor dans ce décor assez bourgeois pour créer une relation ambivalente.”

Anne Barrault

“Je n’ai pas un corpus d’œuvres de Roaland Topor si important que ça. Beaucoup ont été dispersées, hélas.

Vous n’êtes pas spécialisée dans un axe artistique particulier d’après ce que j’ai vu.

Non, surtout pas. L’intéressant, ce sont les rencontres. La programmation est le reflet des rencontres que l’on fait dans la vie. Je n’ai jamais eu l’idée d’ouvrir une galerie en me disant : “ Ma ligne, ce sera ça et je n’en sortirai pas.” D’autant plus que de nombreux artistes sortent de leur propre ligne. La transdisciplinarité permet d’inviter à la fois Marie Losier qui est cinéaste, Roland Topor artiste, cinéaste, écrivain, metteur en scène… de produire tous les croisements possibles.

En quoi consiste pour vous le métier de galeriste?

C’est plein de choses, mais essentiellement être là pour créer des rencontres. Que l’artiste puisse rencontrer un commissaire d’exposition, une conservatrice, un journaliste, un autre artiste, un collectionneur. Nous sommes des marieurs et des marieuses. L’exposition? Grâce à la Fondation Salomon, au travail de Charlotte, toute la demarche a été très fluide. Elle a obtenu des prêts du Musée Château d’Annecy. Des collages que même Nicolas Topor n’avait encore jamais vus. La Fondation a réussi à réunir les institutions de la ville, dont l’Arthotèque.”

Toujours l’importance des liens et des rencontres.

Nicolas Topor

Nicolas évoque une exposition consacrée à  son grand-père Abram Topor à Aix-les-Bains. La notion de psychogénéalogie intervient dans la conversation.

“Certainement. Je fais avec. Je vis avec mon père, je l’ai à côté de moi, avec moi en permanence, c’est beaucoup d‘honneur. Je défends au mieux que je peux son œuvre.

Une exposition est une extension visible de cette dimension intime.

Oui.

Votre père résumait son œuvre ainsi : “ C’est quelqu’un qui rentre dans quelqu’un d’autre.”

Ici, dans l’exposition, il est sous cadre.

Il avait l’art des formules. Comme : “ J’ai usé ma vie par le bout du milieu.” J’aime beaucoup :”Vivre en marge pour ne pas mourir au milieu.” Il se définissait comme travailleur du papier. Peintre? Dessinateur? Il répondait : “ Travailleur du papier.” J’ai choisi que cette mention figure sur la plaque du Passage Roland Topor à Paris. Il s’était inventé cette définition, lui qui ne voulait entrer dans aucun cadre.

Oui, mais des cadres comme ceux-là, ça va. Ils peuvent être regardés avec un peu de dérision.

Comment était votre père? Tourmenté?

Dans la vie ou dans son œuvre? C’est un sujet très vaste. Il a écrit un texte qui s’appelle Si j’étais moi.Il y raconte comment des personnes qui regardent ses dessins l’imaginent comme un être plein de perversion, de fantasmes inavouables.

Illustrations des  » Nouvelles en trois lignes » de Félix Fénénon

Je ne pensais pas à ceci. Je dirais plutôt quelqu’un de très complexe.

Il est arrivé dans la vie à un moment très difficile. Il a porté l’étoile jaune, mon père. Entre autres. Il était inquiet, oui. Inquiet de l’état du monde. Lucide sur la cruauté, sur la bêtise, tout un tas de choses qui l’insupportaient. Sa parade était de rire, la dérision, l’humour noir, la provocation subtile, sans tomber dans la vulgarité. Oui, il était tourmenté, mais c’est devenu sa source d’inspiration et son matériau dans des conditions idéales pour créer et échapper à cette angoisse.

Il y a toujours plusieurs lectures possibles de chacune de ses œuvres, comme de cette gravure : on peut se demander si le personnage salue ceux qu’il va rencontrer, ou s’il est soulagé de les quitter.

Mon père a été un grand sympathisant du Collège de Pataphysique. Il adorait qu’une image, une idée soit un polyèdre où voir plein de choses. Il n’oblige pas le spectateur à une vision unique.

Quelqu’un témoignait qu’il n’y avait pas besoin de lui commander un dessin, il avait toujours quelque chose de prêt dans un tiroir.

C’était une passion, un rythme qui ne le quittaient jamais et lui permettaient d’anticiper les demandes. Je le revois toujours avec des carnets, partout où il allait. Il notait, faisait une esquisse. Il débordait d’idées. C’est pourquoi son œuvre est un continent sans fin, une terra incognita.