Soi et l’autre, le regard : un détour vers soi
5 février 2025Dans Le bestiaire philosophique de Jacques Derrida, Orietta Ombrosi écrit : « J’imagine que cette expérience du regard, de subir le regard d’un « animal », a été faite par tout le monde. Que ce soit le regard d’un chat, d’un chien, d’un cheval ou celui d’une vache ou d’un oiseau, ou même d’un coq, pour en rester aux animaux les plus domestiques, ce regard « sans fond » donc, voyant et se voyant vu, regard insaisissable pourtant, est/serait non seulement le regard de l’autre, du tout autre justement qui, d’une certaine manière, dans ce regard même, s’adresse, pour ne pas dire s’appelle « depuis une origine tout autre », à celui ou à celle qui lui fait face. » Soi et l’autre, telle est la question.
Soi comme un autre ou un autre comme soi
Le détour par le regard de l’animal nous renvoie à nous-même. Comme tout détour qui renvoie au sujet observant. Ne pouvant nous voir nous-mêmes, il nous faut trouver des outils, des moyens pour tenter de capter notre image. L’autoportrait peint a longtemps servi cet objectif. Il y fallait du temps, de l’observation, de la technique afin de s’observer et de rendre l’image de l’autre/soi. Van Gogh, Rembrandt, Dürer, Gustave Courbet, Artemisia Gentileschi , Norman Rockwell donnent d’eux-mêmes une représentation plus ou moins directe, plus ou moins complexe et mise en scène. Qu’ont-ils vu d’eux-mêmes qu’ils aient voulu restituer ? Je comme un autre ? Une sorte de dédoublement ou bien une réunion qui rende compte d’une personne, d’une personnalité ? Sortir de soi pour mieux s’observer et se connaître. « Je est un autre »
Selfie
Van Gogh, Rembrandt et les autres auraient-ils été aujourd’hui adeptes du selfie ? Celui-ci est peut-être une tentative pour se voir en animal mangeant et exposant la nourriture qu’il consomme. En animal habillé au gré des saisons d’une fourrure adaptée à l’hiver ou à l’été. Seul, en hardes ou en troupeaux. Mais que peut saisir le selfie instantané en comparaison d’un autoportrait réfléchi au fil du temps ? Il fixe le fugace au lieu de saisir le permanent. Notre moi nous échappe dans la technique. Peut-être l’autoportrait, comme notre relation à l’animal, est-il une tentative pour comprendre-au sens de « prendre avec soi »- une différence, un écart entre soi et soi, moi et moi, je et je, différence que le selfie dissout dans l’instant.