Souffle

Souffle

31 mai 2024 Non Par Paul Rassat

Rencontre(s) avec Geneviève Bétend Dit Bon. La réflexion et le propos mêlent ses activités de psychanalyste, d’artiste et de personne. Tout est à sa place mais rien de cloisonné.  Le souffle relie l’ensemble.

 — Créer est une surprise. C’est pouvoir se laisser surprendre de soi-même.

Il n’est pas contradictoire d’attendre une surprise ?

On n’attend pas. C’est une rencontre qui est là sans qu’on le sache, sans qu’on aille la chercher . Il ne s’agit pas de vouloir ; ça correspond à un mouvement intérieur.

Laisser émerger, se révéler quelque chose ?

Même pas. Quelque chose est prêt, en soi, qui n’est peut-être pas conscient mais déjà là. Quelque chose, un événement par exemple, va faire rencontre. À ce moment-là, ça vit, ça sort.

Même sans y travailler précisément, la rencontre peut se préparer par sa propre façon d’être, afin de la rendre possible.

Cette façon d’être va faire se rencontrer à un moment donné quelque chose de l’intérieur et de l’extérieur. Et ça va marcher, ça va coller, là !

Et comment on sait que ça marche et que ça colle ?

Rires !

Toute production n’est pas forcément réussie. Réussie suivant quels critères, d’ailleurs ?

Il y a une satisfaction, un plaisir quel qu’il soit. Et la reconnaissance du travail par le regard de l’autre multiplie éventuellement la rencontre. La rencontre de soi grâce à la création d’une œuvre, quelle qu’elle soit, se répercute dans un effet de miroir grâce au regard de l’autre.

Cet effet peut être un piège pour l’ego.

Il n’y a pas tant de vraies rencontres ! On les reconnaît peut-être à ce qu’elles sont simples, sans artifice ; elles trouvent le chemin facilement et entrent en écho. L’autre vient alors révéler quelque chose de soi. «  Le tout est supérieur à la somme des parties. »

Tout ceci relève peut-être de pouvoir oser.

Oser devrait être très naturel : il suffit de laisser passer les choses.

Ça ne l’est pas quand certaines personnes veulent que l’objet plaise, pour qu’il soit dans l’air du temps. Il faut que ça marche ! Ce qui est parfois nécessaire.

Pourquoi créez-vous des œuvres ? Pour les rencontres, pour une autre raison ?

Ma motivation, je la cherche toujours. Je fais ça depuis des années. La peinture d’abord, d’autres choses. J’ai commencé à vendre sans le vouloir. Autour de moi, on m’a proposé «  Je voudrais bien… » Je me souviens de ma première vente. J’étais étudiante, je n’avais pas beaucoup de moyens. On m’achète un tableau, je suis vite partie acheter une robe ! Une satisfaction ! J’aime bien vendre, quand même.

C’est le côté psychanalyste : il faut faire payer la séance pour qu’elle soit efficace. ( rires)

Non ; Ça fait plaisir. Et puis c’est un plaisir de revoir mes céramiques chez des personnes. J’en suis toujours surprise.

Il y a l’objet, son esthétique, sa valeur marchande et bien plus encore. Installer chez soi une œuvre d’art révèle sans doute une part inconsciente de sa propre personne. Lors de notre première rencontre, nous avions parlé de souffle. On y revient ?

Il y a peut-être une question de passage. Le passage de l’air, le passage de la naissance. Ce n’est pas figé ; mes personnages n’ont pas la bouche fermée, ni vraiment ouverte.

C’est presque un paradoxe. Vous dites que ce n’est pas figé alors que vos œuvres sont immobiles.

Justement. La terre, une fois que c’est cuit et recuit, c’est dur ! En arrivant, vous avez remarqué qu’il est agréable de les toucher. C’est doux, vivant. L’essentiel est là pour moi.

Beaucoup considèrent qu’il faut une forme d’exubérance pour donner l’impression du mouvement, de la vie. Vos travaux sont assez discrets. Il faut du temps pour les connaître.

Le temps est nécessaire à mes activités professionnelles et à celles de la création. Elles se conjuguent. Dans le passé, dans le présent et elles amènent l’avenir.

Le souffle est insaisissable. D’où vient cette idée de le représenter ?

Quand on pense avoir perdu son souffle, on le retrouve. Il est là. Ça me dépasse.

?

J’ai été très malade. La terre est venue dans ce chemin-là. Dans les suites. C’est une façon de continuer à vivre. Créer, c’est vivre. Pleinement.

Geneviève parle lentement. Chaque mot est pensé, chaque souffle compte. Notre conversation se tient dans son jardin, une oasis de calme, de fleurs et de plantes. L’agitation du monde est tenue à l’écart. Le débit verbal précipité des intervieweurs, des interviewés sans lesquels le soleil-version Chanteclerc- ne se lèverait plus s’excite ailleurs. Loin.

Créer allège de toute contingence.

Oui, et il faut un sacré ancrage pour y parvenir. Une certitude et une confiance. Choisir un mot, une forme, une façon, c’est surtout ne pas choisir tous les autres.

Penone dit qu’il va chercher dans la nature les formes qui y sont déjà. L’expression fait tarte à la crème, mais, avec lui, c’est évident ! Parfois ce sont les formes qui s’imposent, on ne choisit pas.

Quelque chose s’impose et le reste disparaît, s’efface.

C’est le principe du coup de foudre.

Huoim. ( Une sorte de « oui » en réflexion). Et on revient à la question d’oser, de confiance en son propre regard, même s’il ne correspond pas à la norme.

L’artiste restreint le champ des possibilités en les concentrant dans chaque création. Choisir, c’est aussi être choisi : on n’en sort jamais.

Sinon, c’est mort. C’est le principe même de la vie.

Est-ce qu’artiste est une profession ?

Je dirais non. C’est une démarche. Un état serait statique. C’est une démarche qui vient de l’intérieur. L’œuvre qui en sort est intéressante ou non, mais la démarche est là. Elle vient à un moment de vie si on est capable de la laisser arriver. La céramique, la terre sont intervenues en relation avec ma maladie. J’ai laissé venir ceci sans trop me poser de questions.

Il est ici question de la terre, de la céramique unissant le plein et le vide et de la paroi de celle-ci, charnière, écran ou tout se rencontre.Nous serions, nous aussi, à notre façon, des céramiques.

On retrouve une symbolique dans certaines de vos réalisations. Avec le rhinocéros, le lucane cerf volant.

Les cornes, les ramures d’un cerf. La femelle du lucane s’appelle la petite biche. Les cornes, les antennes passent de la terre vers le ciel. On retrouve la notion de passage. De puissance, aussi. Nous sommes infiniment petits, même devant un insecte. On se balade au milieu, entre le rhinocéros et le lucane, comme on peut.

La relation à la nature peut intégrer une forme de chamanisme.

Oui, bien sûr. Mon totem ? Il est variable. Il y a une dimension totémique dans ce que je représente. Oser mettre en scène l’intérieur, pas de façon ostentatoire, mais pour ceux qui voient. On y perçoit comme un reflet.

Oser, dire, montrer, associer : votre pratique artistique et votre pratique d’analyste se répondent en permanence.

Et la création apporte l’évasion. L’ailleurs. Ce moment où l’on est là et plus là. Dans un autre temps.

Nous traversons le temps et l’espace pour parler de cette peinture. Que représente-t-elle. Une fenêtre ? Une traversée ?

«  Je reflèterai ce que tu es. » C’est une invitation. En traversant, on se retrouve dans le jardin des délices. On peut passer à travers !

Cette rencontre prend décidément la forme surprenante d’une consultation. L’intervieweur y devient l’interviewé invité à dire, à interpréter, à se projeter dans les réalisations présentées qui vous accueillent chez elles.

Il y a un effet de sfumato qui fait passer de formes reconnaissables jusqu’à…

La lumière.