Stéphane Mahé, le hasard, la réalité, l’imaginaire

Stéphane Mahé, le hasard, la réalité, l’imaginaire

20 mars 2023 Non Par Paul Rassat

Stéphane Mahé est l’invité d’honneur du Festival Photographique organisé par ALP’, qui se tient à   Annecy du 17 au 23 mars 2023. Concours, marathon photo, exposition animent la ville pendant ces 7 jours. Les œuvres de Stéphane Mahé sont exposées avec celles de participants au concours adultes. Vous pouvez les retrouver dans son livre.

Formes géométriques et naturelles, immobilité en mouvement…

Quelle impression se dégage des photos de Stéphane Mahé exposées à Bonlieu ? Peut-être l’oubli disparaissant et réapparaissant. Une suspension du temps qui se regarderait lui-même comme cette jeune femme vue de dos, face à son reflet qui nous regarde et que nous captons. Ce couple de personnes âgées va entrer dans l’obscurité d’un hors champ symbolique. Bord d’eau en paysage onirique habité d’un calme profond, imprégné, agité de formes jaillissantes. Ce jeu de damier rimant en motifs géométriques avec une chaussette d’un personnage noyé dans l’obscurité d’un jeu ombre / lumière. Cet enfant qui dévale, de dos encore. Juste là, des poires tombées sur un jeu de carreaux. Autre damier d’ombre et de lumière dont la géométrie supporte les formes naturelles éparpillées au hasard de leur chute. Intrusion du hasard dans nos vies.

Balayer les évidences

Successions de courbes, de damiers. Immobilité en mouvement. Ombre de nouveau, Hopper n’est pas loin. Les photos de Stéphane Mahé ont du grain, ce grain qui signe l’œuvre et la détache d’une évidence. Nouvelle vue de dos. Les motifs que regarde cette jeune fille nous renvoient à sa chevelure. Jeu de correspondances, ondulations. Elle fait partie, naïade, de ce décor qui fait partie d’elle. Maison et nature à la manière d’un paysagiste anglais. Un unique reflet, une route dont on ne sait si elle mène à la demeure ou si elle se perd, ailleurs. Images de solitude. Jaillissement d’un arbre sur une route où l’on verrait bien les personnages de Luis Buñuel.

L’invention du paysage et de soi par voie de conséquence

Élévation, mouvement. La vie ainsi rendue tient du miracle, de l’apparition. Retour à la première photo du parcours qui ne prend son sens que maintenant. Cette jeune femme de dos regardant un paysage marin à travers une rotonde vitrée, cloisonnée. Elle nous renvoie à l’invention du paysage. Celui-ci naît d’une forme de distanciation qui rapproche au lieu de nous en éloigner. Qui sépare en reliant. L’œil de Stéphane Mahé y contribue.

Conversation avec Stéphane Mahé

La sincérité de la relation

Il faut être vraiment disponible au moment de photographier. En relation avec soi-même et en adéquation avec le moment dans lequel on est. La pure sincérité est vraiment d’apprécier à la fois de photographier et ce moment que l’on vit. Même si au bout du compte aucune photo n’en découle, il y a la satisfaction vraie d’avoir vécu ce moment entre soi et son entourage.

On parle habituellement beaucoup de sincérité sans trop savoir ce qu’elle est.

C’est vraiment très personnel. C’est un moment très court qu’on a simplement l’impression d’avoir vécu. Notre histoire qui nous permet de vivre et de savourer ce moment unique.

Au fond, sauf autoportrait, on ne voit pas le photographe dans ses œuvres mais il en est le sujet principal.

Je vous révèle ceci. Dans l’expo, il y a un autoportrait. Parce que j’aime bien jouer.

Comment regarder le réel

Je l’ai vu sans vous reconnaître. La photo que vous avez placée en début de parcours est vraiment la clé de celui-ci. L’art devient intéressant quand il propose la relation que le créateur entretient avec sa réalité.

Comment regarder le réel. Chacun en a sa propre approche. Comment, partant du réel on arrive à l’irréel. Faire de la matière du réel un autre monde. Je ne fuis pas le réel, il est la source qui me permet de transcrire mon imaginaire. De raconter les histoires qui sont les miennes et deviendront celles de la personne qui regarde la photo. Un dialogue se crée entre celui qui regarde et la photo.

Plus on creuse son univers personnel et plus il y a de possibilités de rentrer en résonnance avec l’univers de chacun.

Sans que je le sache vraiment, je touche peut-être à quelque chose d’universel. Unique et global à la fois. L’émotion qu’éprouve le spectateur vient sans doute de là. C’est finalement une question que je me pose à moi-même.

La porte d’entrée dans l’imaginaire

Se poser une question à soi-même rejoint la construction de vos photos. Cette conversation entre l’intérieur et l’extérieur.

Cette première photo est une porte d’entrée, une invitation dans mon univers.

Je m’en suis rendu compte quand j’ai eu fait tout le tour.

Et on peut refaire le tour encore et encore. Il est possible alors de se retrouver dans une bulle de quiétude qui, dans cette relation entre l’intérieur et l’extérieur amène de la poésie en partant du réel.

La fiction et la réalité

Pour beaucoup l’imaginaire est une fiction totale. Votre imaginaire nous renvoie à la notion de réel.

Parce que la notion de solitude est fortement présente. Ce n’est pas elle qui m’habite en premier, mais plutôt la place que nous, humains, occupons sur terre. Elle est très petite ! Nous sommes des petits marqueurs d’espace qui donnons une notion de dimension.

Vous aimez montrer vos personnages de dos. Je me surprends à être face à eux, de l’autre côté. Derrière et en face.

C’est peut-être une projection : je suis à la place du personnage et je vois à travers lui. C’est une espèce de mise en abyme qui entraîne plusieurs profondeurs de champ et de lecture dans l’image.

Vous avez toujours eu cette ligne de travail ?

C’est une continuité que j’essaye d’améliorer à chaque photo.

Vers la liberté

On remarque assez fréquemment un jeu d’équilibre / déséquilibre.

Je pense avoir  suffisamment assimilé certaines règles de la photo pour tenter de m’en affranchir et regagner en liberté.