Tombés du camion

Tombés du camion

2 mars 2024 Non Par Paul Rassat

Philippe Pollet-Villard sort de l’ordinaire. Nous sommes trois à le rencontrer pour parler de son film Tombés du camion et la conversation prend un cours très naturel qui nous mène au Chemin des palabres. Il se situe dans les environs de Manigod car P P-V se partage entre Paris et la montagne. Celle-ci lui permet de se re-trouver, de lire, d’écrire, de satisfaire sa curiosité tournée vers les gens. Nous nous attendions à rencontrer un réalisateur ; nous avons rencontré un homme, pour paraphraser le titre de Mino Faïta sur l’immigration italienne Les Italiens, peuple bâtisseur : On attendait des bras, il vint des hommes.

L’une des clés de votre film se trouve peut-être dans cette phrase dite à propos de l’enfant migrant autour duquel se noue toute l’intrigue : « Le foyer, c’est sa place. » Or rien n’est à sa place dans Tombés du camion : un illettré dans une société envahie par la technologie (souvent inutile), un bateau dans un jardin, des gendarmes perdus entre la rigueur de la loi et leur maman, et engoncés dans leur uniforme…

Mon premier court métrage s’appelle Ma place sur le trottoir. Je jouais le personnage d’un proxénète amateur. Effectivement, il cherchait sa place. Ce qui me touche surtout, c’est ce personnage de soixante ans qui est décalé de ce monde parce qu’il ne sait ni lire ni écrire. Le public du nord de la France a parfois bloqué sur cette caractéristique qui les renvoie à Macron encore ministre de l’économie parlant de «  salariées illettrées » lors de la liquidation d’un abattoir. Je n’ai aucun mal à m’identifier à ce personnage : je ne parle pas anglais, j’ai arrêté l’école en quatrième, j’étais un cancre. Comme je ne savais que dessiner, je suis entré à l’école préparatoire d’Annecy. J’ai gagné la vie professionnelle grâce au dessin, je suis entré ensuite dans une agence de publicité à Paris. J’ai eu beaucoup de chance. Pendant des années j’ai fait beaucoup de fautes en écrivant, avant de me mettre à l’écriture.

L’illettrisme de Stan, votre héros, est aussi une métaphore : il est décalé par rapport au monde moderne, dans ses relations aux autres.

Je me sens très comme ça, moi aussi. Je suis dépassé par beaucoup de choses, au point de me sentir idiot à beaucoup d’endroits, principalement avec la technologie : c’est très déplaisant. La fabrication de l’image, en revanche, est évidente pour moi, je rentre dans l’image ! Je suis avec les acteurs dans l’image. C’est très sécurisant pour eux. Je déplace les choses dans le décor, j’ai un rapport assez organique avec le directeur de la photo, qui filme à l’épaule. Une sorte d’osmose avec lui, les comédiens et le décor que je réaménage toujours rapidement jusqu’à m’y sentir bien.

Vous pensez en images ?

Oui, mais pour le reste j’en suis resté à wetransfer. Je suis un idiot pour les réunions sous forme de visioconférences. La communication est l’un des sujets du film, comme entre Stanislas et l’enfant, même si ce dernier n’est qu’un enjeu dans l’histoire, une sorte de révélateur. Ce n’est ni un film sur cet enfant, ni sur les migrants. Il a été construit comme une comédie sociale dont le dernier tiers serait un mélodrame. La fin demeure ouverte mais on voit bien que Stan ne va pas s’en tirer à si bon compte. Même si on rit, le film nous amène plutôt vers les sentiments. Ce n’est pas vraiment un film drôle.

 Cependant certaines scènes sont remarquables sur ce plan-là, lorsque la gendarme Denise « explose », par exemple.

Alors que tout est écrit avant le tournage, j’ai rajouté une forme d’hyperbole à sa réplique : «  Je prends tes boyaux … » On est à l’opposé de «  Je remplis un C2 ? ». À l’opposé du formulaire administratif.

Pour revenir à la notion de place, l’un de vos frères gendarmes dit à l’autre : « Toi, tu as trop besoin d’être aimé ! » alors que c’est l’inverse !

Ce besoin d’être aimé est un grand problème de notre société professionnelle, et au-delà. Si je suis content de quelque chose, c’est des deux personnages de Stan et de Françoise, de là où je les ai emmenés. On dit de Timsit : «  C’est ce genre de mec, ce genre de comédien. Il joue souvent des personnages un peu hystériques. » On connaît beaucoup Valérie Bonneton dans un registre de comédie. Je les ai emmenés dans une sorte de zone naturaliste. Si le film peut être criticable par ailleurs, je suis fier de ce travail.

Vous emmenez vos personnages au-delà de leurs limites habituelles. Les deux gendarmes sortent de leur fonction, Valérie Bonneton, au lieu de calmer son mari va presque plus loin que lui…On se révèle et on se trouve quand on sort de ce que l’on est habituellement.

Oui. Ce qui est intéressant, aussi, c’est ce Stanislas qui se raconte anarchiste, un peu voyou au début de l’histoire. «  Moi, les lois… » Mais quand il se retrouve avec de vrais voyous, il est beaucoup plus proche de ses fils gendarmes : il a une éthique, il a peur, ne veut pas être malhonnête. Dès qu’on déplace quelqu’un, toutes ses certitudes doivent être revisitées.

Vous parliez d’éthique : vos personnages assument leurs conneries.

L’une des dimensions amusantes du film est son côté fable judéo chrétienne. «  Il a fauté et il y a un enfant qui arrive. » Il va devoir l’assumer.

 Au cours de l’histoire, vos deux frangins gendarmes redeviennent deux mômes qui veulent en sauver un troisième. Ils oublient leurs uniformes.

Leur père, comme le mien, n’est pas beaucoup là. Ils doivent se construire, se donner un cadre : c’est l’armée. Ils s’appellent par leurs grades : «  Mon brigadier, mon lieutenant. » Les gendarmes vivent dans un monde quasi monacal qui serait celui de l’ordre, de l’équilibre.

 Un peu à l’opposé de P P-V, autodidacte qui crée des livres, des images pour prolonger la conversation avec les autres ?