Trahir

Trahir

27 juillet 2025 0 Par Paul Rassat

Dans la collection Tracts Gallimard Kamel Daoud publie Il faut parfois trahir. On lit en quatrième de couverture : « Je me retrouve éclaireur et héritier. Trahir les trahisons, c’est l’attribut du traître. »

« Suis-je donc un traître ? Peut-être que oui, mais je m’en console en feuilletant les livres d’histoire : tous les héros ont trahi l’immobilité. Tous les prophètes devaient trahir leur époque et un désert jaloux. Dans la nuit, tous les éclaireurs se voient obligés de trahir la lenteur des leurs. Tous les hommes ont dû trahir la peur. Tous les fleuves trahissent leurs sources pour aboutir à la mer. Tous les nids sont des fers aux pieds, si l’on n’y associe pas le premier pas dans le vide, si l’on n’ose pas s’y jeter et remuer des ailes ignorées. »

Nécessité

Le propos de Kamel Daoud oppose l’immobilité, la lenteur, le désert, la nuit, la peur à une obligation : «  devaient…se voient obligés…ont dû. » Cette obligation n’est pas imposée de l’extérieur. Elle est cette nécessité interne à laquelle répondent tous les créateurs. S’ils ne le faisaient pas, ils se trahiraient eux-mêmes.

Traître car francophone ?

Kamel Daoud aurait le tort d’écrire en français, la langue du colonisateur. «  …on peut se montrer patriote, heureux, fier et traverser son identité, précisément parce qu’on a réussi à devenir francophone et algérien… Comme dans un renversement, les identitaires arabophones nous renvoient à la figure la preuve d’une victoire comme preuve de la trahison ! »

Le pouvoir et la langue

Dans La guerre du faux, Umberto Eco aborde les enjeux du pouvoir et de la langue. «  Quant à la société, elle défend la langue en jouant la littérature, qui met en cause la langue, dans des lieux réservés. Ainsi, il arrive que, dans le langage, on n’ait jamais de révolution : il s’agit soit d’une fiction de révolution, sur la scène, où tout est permis, et puis on rentre à la maison en parlant normalement ; soit d’un mouvement infinitésimal de réformes continuelles. L’esthétisme consiste à croire que l’art est la vie, et la vie l’art, en confondant les zones. En s’illusionnant. »

Complétons la pensée d’Umberto Eco. Irons-nous jusqu’à croire que le pouvoir politique n’est pas lui-même une illusion qui n’existerait que dans les contraintes qu’il impose ?

Désigner des traîtres

Certains sont capables de répondre à leur nécessité interne. Cette cohérence fait naître leur pouvoir et lui répond. D’autres ont besoin de désigner des traîtres afin de combler leur absence à eux-mêmes.