Univers cyberpunk, pirates, hackers et cyberdélinquants
12 février 2021Arnaud, quel est ton parcours ?
Je suis né à Annecy en 1974. Mes parents avaient une entreprise d’automatismes. Je me suis donc assez rapidement confronté aux ordinateurs et au Minitel. Via l’entreprise de mes parents, j’avais un VT 100, une version modifiée du ZX 81 Sinclair anglais. C’était le premier truc à peu près abordable. Il y a eu ensuite assez rapidement le Minitel à la maison. Il m’a passionné, je l’ai trouvé extraordinaire. J’utilisais à l’époque un serveur RTEL. Il y avait beaucoup de pirates informatiques à l’époque et c’est ainsi que, de rien du tout, je suis devenu après quelques années quelqu’un qui compte à l’échelle européenne. Au départ swapper, j’ai changé progressivement de statut. Je dois dire que je m’étais retrouvé en possession de plans d’une interface électronique, avant sa mise en production .À cette occasion j’ai été appelé par quelqu’un. Mais avant 2017 je n’avais jamais réalisé qui était mon interlocuteur. J’avais parlé mon idole ! Le meilleur des crackers, (enleveur de protection) de l’époque DOM de Répliquants. Pour moi, il était Dieu en personne ! Anecdote que je n’ai pas révélée dans mon TEDX ( Il m’avait demandé de ne pas divulguer ses plans et j’ai pu discuter plus d’une demi-heure avec lui… mais sans me rendre compte de qui il était.)
C’est une anecdote qui renforce ton penchant naturel pour l’univers de l’informatique.
Cette interface permettait de bricoler les machines, d’y ajouter des possibilités censées irréalisables. Il y a une règle chez les pirates : on ne cherche pas le profit, on ne vend pas ce qui a été obtenu de manière illégale, et on respecte les développeurs.
À ce propos, les gens confondent pirates, hackers et cyber-délinquants. Les premiers piratent des logiciels, les seconds hackent des systèmes, les cyber-délinquants utilisent les techniques des pirates et des hackers pour faire des choses illégales. Il ne faut pas tout confondre .Une surgénéralisation de ce type reviendrait à dire :
« Tous les serruriers qui utilisent un kit de crochetage sont des cambrioleurs »
En réalité, les valeurs des pirates et des hackers sont bénéfiques parce qu’ils ne cherchent pas à tirer profit de leurs activités.
Il faut cependant préciser qu’une nouvelle génération n’obéit pas à cette éthique. Je fais à ce sujet un parallèle : les nouvelles générations ont grandi avec les émissions de télé qui privilégient l’argent et la réussite à tout prix. On les présente comme écolo. C’est vrai pour certains. D’autres ont vraiment la dalle. Ils sont capables d’attaquer des hôpitaux, de voler les données de gens en thérapie psy pour les faire chanter ! De profiter de la souffrance de certaines personnes pour les arnaquer.
Mais je reviens à mes débuts sur ATARI ST, une scène informatique très élitiste. Par la suite, en travaillant chez Infogrames j’ai découvert la scène WAREz où l’on pirate les jeux. J’ai commencé à me faire des relations. À mon retour à Annecy, le câble et ses performances m’ont permis de monter mon groupe (release & courrier), CHROME MATRIX
C’était une référence au Style CYBERPUNK qui est en train de remonter très fort actuellement avec le jeu video CYBERPUNK 2077.
Le monde n’y est pas contrôlé par des États mais par des corporations plus riches qu’eux. Ce jeu très pertinent m’a longtemps suivi. Ses créateurs avaient conçu un monde très proche de celui dans lequel on évoluait. Un monde bien pourri où chacun tire la couverture à soi. Être une ordure fait partie du jeu et développe une vision prophétique du monde actuel. On va s’y chromer,(ajouter des implants) aux personnages. Des films s’inspirent de cet univers BladeRunner (Avec les fameux répliquants) , Matrix, Ghost in the shell , et Johnny Mnemonic réalisé en 1995 par Robert Longo. Johnny a été tiré d’une nouvelle écrite par William Gibson parue en 1986 dans Gravé sur chrome. Deux références importantes du mouvement cyberpunk. On évolue dans un univers parallèle totalement digital : la Matrice (Matrix en Anglais). On n’y est pas encore dans la réalité, mais on s’en approche.
Cet univers mêle le bricolage punk, le DIY (do it yourself), à une science fiction qui est en train de se réaliser concrètement. On navigue entre plusieurs zones. Ceci nous ramène à une question : comment passe-t-on des bons aux méchants, des pirates aux cybercriminels ?
La première trilogie Star Wars est extraordinairement prophétique. On s’y réfère souvent pour expliquer les relations entre le bien et le mal, la force et son côté obscur. La scène la plus intéressante à mon avis se situe au milieu de la trilogie. Dans L’Empire contre attaque, Luc, après avoir trouvé Yoda, doit se rendre dans une caverne. La référence platonicienne n’échappera pas à certains. Il demande à Yoda ce qu’il va trouver dans cette fameuse caverne. Yoda repond « Ce que tu y apporteras. » Dans la caverne, Luc se trouve face à Vador.
Et il ne sait pas que celui-ci est son père.
Luc se bat contre Vador, contre sa filiation sombre. Il lui coupe la tête mais ce qu’on voit dans le casque de Vador, c’est la tête de Luc. Le héros a choisi, à un moment de son parcours, de tuer l’obscur pour ne rester que dans la lumière.
On navigue dans la mythologie, dans la psychanalyse, dans la psychologie alors que nous étions partis de l’informatique. Celle-ci n’est donc pas que de la technique. Au-delà des outils, il y a une dimension spirituelle, philosophique.
Ceci renvoie à la notion de code moral, de doctrine, à une dimension humaine. Je reviens par ce biais à la cybercriminalité. 80% des attaques passent par l’humain. On dit que le problème se situe « entre la chaise et l’écran. » La plupart des attaques incluent une réflexion sur l’humain. C’est ce qu’avance Kevin Mitnick. Elles se font par l’ingénérie sociale. On attaque l’humain. Nous venons de discuter un moment. J’utilise des informations que tu viens de me donner sur toi, sur ton environnement familial. Je sais que ton fils est dans un train. Je t’appelle pour t’informer que ton fils a fait un malaise et j’ai besoin d’informations, du code de son ordinateur resté allumé pour l’aider à rester en vie. On attaque sur la peur, l’angoisse, le stress en peaufinant ce scénario de base. On peut jouer aussi d’une forme d’autorité, se faire passer pour un policier et menacer.
Il faut souligner que la sociale ingéniérie agit sur les mêmes ressorts que les théories complotistes. On bombarde la personne d’informations qui vont la troubler, la submerger. Les choses sont plus complexes mais je les présente de façon que tout le monde puisse les comprendre. L’objectif est de faire basculer les destinataires dans l’émotion et de court-circuiter le rationnel. Ils réagissent alors de manière non logique, non cohérente.
Beaucoup d’utilisateurs considèrent l’informatique comme un monde un peu magique dans la mesure où ils n’en maîtrisent que très approximativement les bases. C’est pourquoi ils sont vite submergés.
Quand je suis dans une voiture, je ne comprends pas tout ce qui se passe dans le moteur mais je n’ouvre pas les portes à 120 à l’heure simplement parce que quelqu’un me demande de le faire !
On a eu le temps de s’habituer aux voitures. L’ordinateur domestique est bien plus récent.
Je donnais simplement un exemple parlant. Comme pour le Coronavirus. Certains me parlent de complotisme. Je leur réponds que si un tigre se promène en bas de leur immeuble, ils ne laissent pas leur enfant jouer dehors. En informatique, il faut avant tout du bon sens et de l’humilité : je ne sais pas, je pose la question. Il ne faut jamais faire quelque chose dont on ne comprend pas les impacts. L’éventail des arnaques est très large, de la tentative maladroite et repérable au vol d’informations bancaires, des équipes organisées aux États. Certaines équipes étatiques sont particulièrement redoutables. Si tu travailles chez Stäubli, Dassault ou Nokia, par exemple, ne prête pas ton ordinateur à tes enfants.
Entre la prudence, le bon sens et la paranoïa, il faut trouver un équilibre.
Bon sens ! Il ne faut pas penser d’emblée qu’on a raison. Sinon on est un con. C’est ce qu’on voit à propos du Coronavirus. Les gens intelligents disent « Il me semble… »
Alors une solution serait de renforcer l’enseignement de la philosophie dans le cursus scolaire, le doute et l’esprit critique.
Effectivement, le doute est salvateur. Il évite la panique qui fait faire n’importe quoi.
Les réseaux sociaux nous poussent à la réactivité émotionnelle fusionnelle alors qu’il faut cloisonner ses univers.
Oui dans la mesure où les gens gagnent de l’argent sur le profil qu’ils ont réussi à établir de toi. Une fois qu’on t’a profilé, on sait comment tu vas réagir à telle ou telle sollicitation. Notre société commerciale transforme les humains en bœufs. C’est au point que l’on n’est plus sûr que nos réflexions ou bien que nos décisions émanent réellement de nous.
Ça pose la question du libre arbitre.
Il faut lire à ce sujet Pour une écologie de l’attention d’Yves Citton.
[ Nous étions partis des pirates informatiques et nous avons parlé de dimension humaine, philosophique, de psychologie, de mythologie, de cinéma, de littérature, une conversation comme la taupe les aime. Sans oublier la petite touche autodidacte qu’elle apprécie tout particulièrement]