Vinaver au Mamco de Genève
23 septembre 2022Pierre Dubey organise au Mamco un hommage à Michel Vinaver du 19 septembre au 1Er octobre 2022. Lectures, témoignages, deux pièces de Micel Vinaver, 11 septembre 2001 et Les Troyennes. [ Photo : Pierre Bey avec quelques lettres reçues de Michel Vinaver]
Les silences de Michel Vinaver, par Éric Eigenmann
« J’ai eu Michel Vinaver plusieurs fois en interview. Mes questions ou bien celles du public étaient systématiquement suivies d’un long silence. Parfois même, vers la fin de sa vie, il fermait les yeux. Il attendait un temps fou avant de répondre. Mais ensuite il répondait de manière très abondante. Même chose à la question suivante.
Un silence qui en dit long
Les questions, il les avait déjà entendues. Elles ne le surprenaient pas , n’expliquaient pas ce silence. Il y avait déjà répondu plusieurs fois. Je pense que ce silence en disait très long de l’attitude de Michel par rapport aux gens. Michel était toujours dans le présent, voici comment j’interprète ces silences. Dans le présent de la relation. Il devait faire comme si c’était la première fois qu’il entendait la question. Il reprenait les choses à zéro en se reposant très sincèrement la question. D’ailleurs, la réponse qu’il donnait n’était pas forcément la même chaque fois. Elle était adaptée aux personnes à qui il s’adressait. Cette sincérité était à l’inverse de ce que font beaucoup d’interviewés. Ils se contentent d’appuyer sur un bouton et de déverser un discours quasiment appris par cœur. Michel Vinaver faisait preuve de générosité en développant la réponse, en la construisant. Il pensait en répondant.
L’entre-deux des discours
Michel fait se frotter des discours qui, a priori, ne sont pas faits pour dialoguer. Dans l’intervalle, le silence, ,quelque chose se passe à partir du moment où il y a un lecteur, un spectateur qui s’interroge. Juxtaposez le discours d’un PDG et de celui d’un employé. Juxtaposez la voix de Bush et celle de Ben Laden. Dans le silence entre les deux on est amené à réfléchir au sens ou à l’absence de sens de cette collision. Ces étincelles échapperaient au discours d’un auteur de théâtre traditionnel noué dans un dialogue trop bien construit. Vinaver livre une machine très forte. Il faut que les comédiens la fassent tourner pour que le public la reçoive et dépasse l’écrit. Voici une citation d’Henri Matisse que je tiens de Michel « Je ne peins pas les choses, je ne peins que les rapports entre les choses. »
La visite du chancelier…
Ce témoignage faisait suite, le 19 septembre, à la lecture par Matthieu Marie de La visite du chancelier autrichien en Suisse. Un texte radical d’une actualité intemporelle. Si Michel Vinaver déclarait s’émerveiller du journalier, il était d’une exigence totale sur les plans moral et politique.