Le style ? Un effet souvent superflu

Le style ? Un effet souvent superflu

13 septembre 2021 Non Par Paul Rassat

« La banalité comme sujet d’étonnement »

Michel Vinaver nous confiait il y a quelques jours son intérêt pour la vie journalière. Lisez le texte de ses pièces. Bettencourt Boulevard ou une histoire de France, par exemple. Pas de ponctuation. Pas de style apparent. Une disposition qui privilégie la fluidité, les enchaînements, le croisement des répliques. Répliques qui n’en sont pas toujours au sens littéral. Le personnage poursuit parfois son dia-monologue plus qu’il ne répond à un interlocuteur. L’écriture de Michel Vinaver sert avec une diabolique intelligence cette banalité. Son anti-conversation rejoint, il le reconnaît, celle de Tardieu.

Exprimer

Le sens vient intégralement de ce qu’il fait dire à ses personnages. Il les exprime, il les « presse » étymologiquement jusqu’à la dernière goutte de sens. Celui-ci naît des dialogues, de l’intérieur des personnages. Aucun ajout n’est utile. Tout est dit. Pas besoin de décor, d’artifice, de deus ex machina. De fard. Surtout pas dans Bettencourt Boulevard. Aucune hiérarchie des répliques. Tout est écrit sur le même ton diabolique. Alors que l’on rendait hommage, les 9 et 10 septembre 21, à Gaby Monnet en présence de Michel Vinaver, le château d’Annecy propose toujours son exposition « Michel Ocelot, artificier de l’imaginaire. » Ocelot qui déclare « J’aimerais ne pas avoir de style pour que le public se perde dans mes histoire. » Michel  Vinaver n’a, volontairement, pas de style mais une écriture.

« Tu causes, tu causes… »

« Tu causes, tu causes, c’est tout ce que tu sais faire » fait dire Raymond Queneau à sa Zazie. Les personnages de Vinaver causent, et causent parfois bien des dégâts. Leurs propos nous les donnent à entendre et à voir à la fois de l’extérieur et de l’intérieur. Retournés comme des chaussettes pas toujours propres. Ils s’expriment au discours direct mais nous plongent dans leurs pensées les plus intimes sans aucun filtre. Comme si intervenait ce procédé subtil qui s’appelle le discours indirect libre cher à Proust. Intime / extime. Privé / public, tout s’entrecroise en une obscénité permanente et assumée.

Le diable est dans les détails et dans l’ensemble

Il faut une diabolique maîtrise pour donner au texte ce caractère spontané, libre. Maîtrise qui exige le jeu. Michel Vinaver se plaît à décaler les blocs syntaxiques pour créer des failles, des heurts qui attirent le lecteur attentif ou le spectateur :

donc il s’est plaint à Madame ?…

— Il ne savait pas ton nom mais de ton insolence. »

Et si tout est parti pour Michel Vinaver de « La révolte des légumes » écrite à 10 ans, il s’amuse à faire parler Nicolas Sarkozy « Tenez je vais vous dire une chose… », celui – là même qui traita les magistrats de petits pois.

Les Bettencourt et leur entourage domestique, Éric Woerth et son épouse, François-Marie Banier, Nicolas Sarkozy ravalés au niveau de la banalité alors qu’ils se donnent en spectacle. Vive l’étonnement !

L’enjeu de la scène. Le style comme vêtement vide

« L’enjeu de la scène , c’est quoi? », diraient Léa et les médias

« Après Les Coréens » je n’ai plus ressenti le besoin ou l’envie d’un retour à l’écriture narrative » déclare Michel Vinaver, rendant ainsi hommage à Gaby Monnet qui le poussa vers le théâtre. « J’avais trouvé mon lieu d’écriture. » La scène, ce lieu qui peut tout représenter, à tous les sens du terme. Montrer, dire, faire voir, incarner tous les enjeux du monde. Avoir un « style » peut finalement consister à porter un costume qui cache la vérité et la profondeur absentes.