« 07. 07.07 » Polar sombre d’Antonio Manzini et merde humaine

« 07. 07.07 » Polar sombre d’Antonio Manzini et merde humaine

15 avril 2021 Non Par Paul Rassat

« En grec, eskato veut dire la fin ultime. Donc, l’eschatologie est la réflexion sur la fin ultime de l’homme, de l’univers. Mais en grec ancien, skatos veut dire caca, et la scatologie consiste à traiter et analyser la merde. Vous ne trouvez pas que le parallèle est amer et cynique comme seuls les Grecs anciens savaient l’être ?

— Oui. Après tout, on parle toujours de fin ultime.

— Qu’il s’agisse de l’homme ou de ses déjections… Pour les Grecs, la différence tenait à un epsilon.

— …Pour les Grecs anciens, un destin de merde était presque une tautologie. »

« L’espoir est l’arme des faibles. »

La femme de Rocco Schiavone est tuée le 7 juillet 2007. 07/07/07. Le monde déjà complexe du policier explose. Doutes, amour, travail, honnêteté, amitiés, tout cohabitait plus ou moins bien jusqu’à ce jour fatidique. Rocco anti-héros navigue entre Rome et Aoste, passé et présent. Antonio Manzini construit une danse policière, intime, sociologique, philosophique. Les effets spéciaux, contrairement aux films de James Bond, y surgissent des tréfonds de l’âme humaine. Noire, grise, avec des fulgurances éclaboussées d’amour. Sentiments, émotions, pulsions, sensations forment une machinerie plus complexe que toutes les technologies. Comment l’espoir y trouve-t-il place?

À fleur de peau

Manzini traite en virtuose de cette dualité qui nous pousse aussi bien vers l’obscurité que vers la lumière. Il surnomme Skin l’un des personnages clé de ce roman. Skin. La peau. Intermédiaire, interface entre l’extérieur et l’intérieur. Le cinéma et la littérature d’action se limitent de plus en plus à l’extérieur spectaculaire. Manzini, comme Andrea Camilleri, fouillent, plongent, relient, donnent sens en élargissant la focale au lieu de la circonscrire au visible.

Approche quantique

Comme la physique de la même appellation, un bon romancier s’intéresse aux échanges de la matière et du rayonnement. Ce qui, via Antonio Manzini, nous renvoie à ce filage réalisé par le collectif MXM et Cyril Teste il y a quelques mois. Les personnages y sont des électrons libres à la trajectoire imprévisible. Se mêlent au jeu traditionnel sur la scène (premier plan) des videos en temps réel. Certaines proviennent d’un atelier d’artiste-mémoire culturelle qui occupe le centre de la scène (deuxième plan). Sur la façade de celui-ci sont projetées d’autres images, à la rencontre du passé et du présent. Sur la peau que forment des écrans modulables. Le tout, enrichi encore par d’autres moyens de jeu et de représentation. Danse. Encore une fois, nous sommes des machines à effets spéciaux, notre corps, notre esprit y participent pleinement.

En attendant la reprise des théâtres, pourquoi ne pas lire Antonio Manzini ? La course des rats et les titres précédents.

07.07.07