17 octobre 1961

17 octobre 1961

19 octobre 2021 Non Par Paul Rassat

Les flocons de l’insouciance

Le 17 octobre 1961. Je venais d’avoir dix ans. Était-ce en octobre ? De la Dauphine conduite par mon père, j’avais aperçu deux draps blancs étendus sur la terre fraîchement labourée. Je ne l’avais pas vue encore mais je savais que c’était la mort.

Était-ce le 17 octobre 1961, dans les environs de Bône ? J’avais dix ans et me souviens du scintillement de la lumière dans le parfum des eucalyptus. De ce moment de joie et de suspension. Il avait neigé ce matin-là tout près de la mer. Dans la cour de récréation, nous devenions flocons légers. Ma mère institutrice avait plus d’une fois aperçu le point rouge d’une cigarette, la nuit tombée, dans le jardin de l’école. Elle venait de terminer la correction des cahiers et la préparation des cours du lendemain. Un « Bonsoir » discret saluait son passage.

La magie du cinéma !

Et puis ces confidences d’après Indépendance faites à mon père instituteur. Il lui  était arrivé de prendre le projecteur du Foyer Rural pour montrer des films dans les douars. « Vous avez eu de la chance. On reconnaissait la voiture.  217 P 9 C.»

Le travail bien fait

J’ai grandi en Algérie. Un camp militaire proposait ses activités culturelles à quelques dizaines de mètres de notre logement scolaire. Défilés, maniement d’armes, entraînement au combat dans la journée. Vocalises d’un public local retenu malgré la fermeture nocturne à une époque où les heures sup n’étaient pourtant pas défiscalisées. On aimait alors le travail bien fait.      

Explosions de jeux

Tout ceci dans la bonne humeur d’une enfance ensoleillée ponctuée par quelques explosions et rafales de mitraillettes destinées à donner du sens à une vie sinon trop facile qui éclatait de la joie simple de pousser une roue de bicyclette à l’aide d’un fil de fer, de taper dans un ballon sur un coin de trottoir après l’école et de regarder les plus grands faire fumer les crapauds. Chasser les oiseaux à la glu, au lance pierres (le « tire boulettes »), jouer aux billes en lançant des formules magiques dont j’ai depuis longtemps oublié le sens, « Tarass triangle ! Kix grand qui m’arrête » participait de cette insouciance bercée  par une violence omniprésente qui épargnait l’innocence volontairement aveugle de l’enfance.

Le 17 octobre 1961 ?

« Sous le pont Mirabeau coule la Seine… »

(La photo en tête d’article est de Libération)