5 Mondes, 5 albums en un seul récit initiatique

5 Mondes, 5 albums en un seul récit initiatique

25 février 2023 Non Par Paul Rassat

Rencontre avec Alexis Siegel qui dédicaçait 5 Mondes chez BD Fugue Annecy. Notez que 5 est un symbole d’union. Il représente le centre, la perfection intégrée, la totalité. C’est le symbole du feu, feu que l’on retrouve dans le récit sous plusieurs formes, dont le phare, la lumière, elle-même symbole de connaissance…

De la traduction à la création

Je suis le co-pilote du scénario de 5 Mondes. Mon frère Mark est la puissance créative. Je suis traducteur de formation. J’ai traduit de la bande dessinée comme Pénélope Bagieu, Joann Sfar le plus souvent vers l’anglais. Ça m’a permis de voir comment des auteurs cultivent le sens du dialogue mais je ne me voyais pas faire de l’écriture créative. Mon frère, lui, est éditeur, illustrateur, il a ses propres œuvres et nous discutions d’œuvre à réaliser ensemble. Il m’a dit un jour «  J’ai un projet un peu ambitieux »…

Travail à plusieurs mains et cerveaux

Cinq gros pavés.

Mille deux cent cinquante pages. Ce n’est pas un projet qu’on peut mener seul. Alors nous avons décidé de tirer ensemble sur le fil de cette histoire dont nous parlions depuis des années. Une histoire de science fiction couvrant des thématiques qui nous intéressent. Mon frère, grâce à son expérience d’éditeur, sait qu’il faut une base de départ solide mais que l’histoire évolue ensuite. Notre travail à deux a été dans ce sens.

Une histoire ouverte

Donc vous ne saviez pas totalement au départ où vous mènerait votre histoire ? Au fil de la lecture il est arrivé que je n’aie plus cherché à comprendre. J’ai simplement été emporté par l’histoire.

Je suis content de l’entendre car ma tendance naturelle est de verrouiller les choses. Nous avions une trame principale mais nous nous sommes parfois retrouvés coincés comme par un mur.

Là, ça devient intéressant.

Oui, comment se sortir de ce piège où nous nous sommes mis. Je suis finalement allé de découverte en découverte. Le travail à deux auteurs. Et puis, au fil du travail, les illustrateurs ont participé davantage à l’élaboration du récit. Marc et moi décidions mais la conversation nourrissait notre réflexion.

Une découverte partagée

Vous êtes traducteur. La traduction est une conversation permanente d’une langue à une autre. On pensait autrefois qu’elle était une trahison. Désormais on la voit comme une ouverture, un enrichissement. Cette notion d’ouverture fait vivre l’histoire que vous portez. Elle repose sur des rencontres, elle est une évolution permanente faite de métamorphoses.

Nous voulions que ce soit une découverte pour nous aussi. Nous l’avions rédigée en anglais et j’ai été agréablement surpris par la traduction en français. Récemment une jeune lectrice a posté un message sur les réseaux sociaux. Elle donne trois exemples et demande si nous avions planifié ces passages. Voici l’un d’eux. Un personnage dit «  Je suis tout ouïe. » Ce qui donne en anglais «  I’m all ears. » Dans le livre suivant, le même personnage est blessé à l’oreille.

C’est passionnant. Ces enchaînements se font sans qu’on en ait conscience.

L’écriture créative comporte effectivement toute une partie inconsciente. Ça a été la principale découverte pour moi.

Une suite, à condition qu’elle soit aussi prenante

À vous entendre, vous allez continuer.

On a plusieurs idées car on aime bien cet univers. Mais ce travail nous a pris huit ans. Nos collaborateurs dessinateurs ont évolué, leur carrière a progressé. Auront-ils le temps de nous suivre dans une prochaine étape ? Mais nous ne ferions pas une suite pour faire une suite. Il faut que ce soit une histoire qui nous prenne. Et il y a des pourparlers pour l’animation. On espère que quelque chose puisse se faire de ce côté-là.

L’alchimie à l’œuvre

Évoquer cet espoir chez BD Fugue Annecy peut éventuellement être de bon augure puisque la ville accueille le plus grand festival d’image d’animation. Votre titre m’a intrigué. 5 mondes. Sans article. Comme une entité, un absolu. Le but de l’aventure étant de franchir toute les étapes pour unifier toutes les composantes. Comme en alchimie.

Chaque monde que nous avons créé a sa couleur propre, sa nature. Nous avons effectivement pensé à une alchimie des couleurs.

Et puis le dessin est parfait. Il contribue efficacement à l’histoire sans s’imposer. Sans effet inutile.

C’est dû au talent des illustrateurs mais aussi au processus de création. Nous étions tous dans des continents différents. Ou bien sur les côtes est ou ouest des USA, avec des décalages horaires. Un travail d’unification a été nécessaire…

Comme dans votre livre.

Exactement. Il met en scène trois héros qui ne se seraient jamais parlé sans la situation extrême qu’ils vivent. Ils en arrivent à trouver des valeurs qui les unissent. C’est un lien avec notre monde : comment on parvient à dialoguer entre gens différents.

Une lecture pour tous âges, ou presque

À quel public vous adressez-vous ?

On ne voulait pas le limiter. Mon frère parle de catégories très rigides dans l’édition. Mon fils à dix ans, je vois qu’il fonctionne de façon personnelle. Il lit des livres par cycles, y revient plus tard, pose des questions liées à l’évolution de son âge. Notre intention était donc d’apporter quelque chose à des publics d’âges différents.

Rendre concrètes des approches philosophiques, des idées

J’y ai vu des cours de philosophie très accessible. « Connais-toi toi-même » et Socrate, «  Deviens ce que tu es » et Nietzsche.

C’est un peu notre bagage de départ et nous avons cherché à présenter de manière concrète un processus mental ou spirituel. Comment représenter le mal, par exemple, sans partir dans des abstractions ? D’où cette entité du Simulacre. En anglais, c’est the mimic, le mime. Quelque chose qui s’insère en faisant semblant. Avec éventuellement une dimension très raffinée, comme en politique. Des gens qui affichent des valeurs auxquelles ils ne croient pas vraiment. Quel intérêt y a-t-il donc à garder une espèce de mainmise sur tous les personnages que l’on rencontre ? Le Simulacre nous dit que les choses ne sont pas ce qu’elles paraissent. Il faut toujours creuser pour comprendre réellement.

La recherche d’identité

Étymologiquement, le simulacre est l’image. Soit une très belle peinture, soit un être trompeur. Vos livres opposent le simulacre maléfique à la recherche des personnages en quête de leur véritable identité. D’où un récit très riche pour des adolescents.

D’autant plus que les problématiques d’identité aux USA, par exemple, sont devenues quelque chose de très figé. Il me semble très sain de voir des héros qui évoluent, remettent en question ce qu’ils croyaient être leur identité. Ils ne restent pas bloqués dans des idées.

La métaphore du sable

C’est le principe même de la connaissance.

Dans la métaphore de la danse de sable, la progression n’est pas linéaire. Après chaque niveau atteint il faut repartir en débutant.

Le sable m’a évoqué Dune, où il constitue un obstacle. Vous en faites une sorte d’expansion de la personne, de ses potentialités.

C’est la notion d’univers vivant qui anime cette conception. Tout est vivant, tout a une place dans l’univers. La thématique du premier des cinq livres était en grande partie le lâcher prise.

Erreurs, évolution, accomplissement de soi

Vous nous avez fait un truc de développement personnel intelligent ! C’est rare. (rires).

On a au moins essayé de donner des principes à glaner, des idées porteuses. Oona se retrouve dans une école où tout doit être maîtrisé. On est dans le détail du contrôle absolu mais c’est par ses erreurs qu’elle découvre certaines possibilités. L’art ne consiste pas à obéir aveuglément à des règles, à copier les maîtres.

Oona est un oxymore par elle-même, elle dépasse les cases apparemment opposées. Votre « robot » est presque sommé d’exercer son libre arbitre. « Vous faite dire à un personnage «  Les pousses vertes n’attendent pas de permission pour grandir. » J’y ai vu du Corneille «  Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années. » Il faut critiquer, désobéir, mais à bon escient.

Oui. Ce n’est pas une révolte personnelle. D’où mon désaccord avec les mouvements identitaires qui fleurissent dans les universités américaines. Il suffirait d’avoir une identité ramenée à soi-même. Nos héros, eux, veulent trouver leur identité dans la défense de leur monde. L’identité personnelle peut être un tremplin, pas une fin en soi.

Résister aux pièges

À un moment, Oona résiste aux pièges de l’ego.

Ça fait partie de sa transformation. Elle est à l’inverse de ces stars de la musique qu’un premier succès bloque totalement. Ils en demeurent prisonniers, parfois sous la pression du public qui attend toujours la même chose.

Le travail linguistique et la création

Petit jeu de Talpa : approche artistique de l’aniforme par Rodin!

Votre aniforme est une vraie trouvaille.

Ça permet de donner corps à une idée. Nous avons travaillé les patronymes aussi. Mon frère et moi sommes passionnés d’onomastique. J’ai lu que J.K. Rowlings se promène dans les cimetières pour noter les noms de famille intéressants. Je ne tiens pas de carnets, mais je note régulièrement des noms.

Qu’est-ce qui vous a poussé vers la traduction ?

L’amour des langues. J’étudiais l’économie aux États-Unis. Quelqu’un cherchait un traducteur pour un livre de botanique sur les arbres utiles de Haïti. J’ai trouvé l’exercice intéressant et pensé à en faire un métier.

La réalité ?

On peut se demander si notre relation à la réalité n’est pas une traduction permanente.

Absolument. C’est fascinant.

La conversation roule encore sur la notion de traduction. Sur la surprise qui peut naître de nos pensées traduites en mots. Sur celle d’écrire une scène qui surprend son auteur.