Le Verbe performatif et l’œuvre d’art

   « Si l’Annonciation est le récit du dialogue entre Gabriel et Marie, ce récit se conclut par un événement considérable dont l’accomplissement, régulièrement annoncé au futur par Gabriel, n’est pourtant pas, lui-même, énoncé dans le récit : l’Incarnation divine. Celle-ci s’accomplit dans l’instant où Marie déclare : «  Qu’il m’advienne selon ton Verbe. » Or  saint Luc se contente alors d’écrire : «  Et l’ange la quitta. »…  Daniel Arasse L’Annonciation italienne. Ce qu’évoque Daniel Arasse est la puissance du Verbe performatif. Le contraire du discours au kilomètre de nos politiciens, commentateurs et teneurs d’antenne.

Légende de la photographie : le pied dans tous ses états.

Le tout   

« La puissance de mystère propre à l’Incarnation…a été exprimée avec une force particulière…[ par] le prédicateur franciscain saint Bernardin de Sienne dans son sermon De triplici Christi nativitate : l’Incarnation est le moment où « l’éternité vient dans le temps, l’immensité dans la mesure, le Créateur dans la créature, Dieu dans l’homme, la vie dans la mort (…) l’incorruptible dans le corruptible, l’infigurable dans la figure, l’inénarrable dans le discours, l’inexplicable dans la parole, l’incirsconscriptible dans le lieu, l’invisible dans la vision, l’inaudible dans le son (…) l’impalpable dans le tangible, le Seigneur dans l’esclavage,(…) la source dans la soif, le contenant dans le contenu. L’artisan entre dans son  œuvre, la longueur dans la brièveté, la largeur dans l’étroitesse, la hauteur dans la bassesse, la noblesse dans l’ignominie, la gloire dans la confusion (…) »

Puisque d’ Annonciation il est question      

Celle de Francesco del Cossa reproduite en début d’article a été signalée à Talpa par Jérémy Liron. On y remarque un escargot. Le dictionnaire des symboles nous apprend que cette bestiole est la représentation de la fertilité, du mouvement. Chez les Aztèques, il était l’image de la grossesse. Au Dahomey, il était lié au sperme. Évolution, vie pour les Égyptiens…

L’oxymore

Daniel Arasse  conclut que le recours à la perspective pour figurer l’infigurable repose sur le fait que les lignes de fuite de la perspective se rejoignent à l’infini…

Au cœur de tout ceci, l’oxymore qui unit et fond  tous les paramètres. L’art peut être performatif comme l’est parfois le langage. Celui-ci est performatif quand il unit déclaration et action dans un même mouvement créateur. «  Je te fais chevalier, je vous nomme ceci ou cela… » Le verbe est action incarnée dans une même temporalité. Ce mystère performatif fascine toujours. Dans la vie sociale, politique il prend déjà des couleurs de solennité. Dans le domaine spirituel, religieux ou artistique il crée des conditions « Qui chantent les transports de l’esprit et des sens. »

Représenter ou incarner ?

 Selon Giorgio Agamben, la publication en 1923 d’un texte du moine Odo Casel  fait que « la célébration du sacrifice eucharistique dans la messe n’est pas une représentation…de l’événement salvateur : elle est elle-même l’événement. »

La légende des Anges

« Message parfait, l’Annonce faite à Marie transforme le Verbe en Chair vivante et pensante, divine. Bavard, creux et vide, le langage ne signifie rien s’il ne s’incarne pas. Messager parfait, l’  Archange Gabriel annonce à la Vierge qu’elle devient la mère de Dieu. Sa parole vaut acte. Messagerie parfaite, l’Annonciation doit à cette excellence d’être la représentation la plus fréquente – et peut-être, la plus belle – de tout l’art occidental. »

           Michel Serres  La légende des Anges

Performatif absolu

La parole s’incarnant aussitôt en actes ! Le rêve de tout dirigeant, politique, chef ou apprenti chef. Alors que nous naviguons entre le direct, le différé, le faux direct, le replay, le podcast, redonner de la force au Verbe ! Que disparaissent les paroles verbales ! Que la parole ne se dilue pas en des « faire en sorte d’être en capacité de… »

Réponse à Magritte !

L’émotion qui saisit le spectateur d’une œuvre d’art et le transporte tout entier au-delà des catégories habituelles du temps, de l’espace, de l’esprit serait-elle une Annonciation ? Ou un orgasme tactile ?