Invitation au voyage
11 novembre 2023Un thème peut en cacher un autre. L’exposition Quoex-Sprungli qui se tient en ce moment à la Fondation Christian Réal chante officiellement la femme. Elle est aussi une invitation au voyage.
Le manège de Quoex
Encore un tour de manège ? Le même, sur le même cheval, sur un autre animal ?
« Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre… »
Renaître à chaque instant
Le même tour, chaque fois différent. Dans La musique n’est rien Sergiu Celibidache écrit « La musique renaît à chaque instant… » Rester cet enfant qui espère à chaque nouveau tour décrocher le pompon. Les toiles de Jacques Quoex espèrent capter le mouvement dont le manège est éternel. Plus loin Celibidache écrit « La musique est une articulation : la coïncidence dans le temps et dans l’esprit du commencement et de la fin, de la fin et du commencement. La peinture se manifeste dans un déroulement spatiotemporel, mais elle est autre chose que ce développement continu. » Celui qui regarde une toile devient lui-même ce « déroulement spatiotemporel », il se fait son cinéma, son manège personnel d’où naît, par bonheur, « un élément spirituel qui commande le physique. » Il en est de même dans toute entreprise artistique réussie. C’est d’ailleurs ce qui en fait une réalisation artistique.
Mon manège à moi c’est toi
Tu me fais tourner la tête
Mon manège à moi c’est toi
Je suis toujours à la fête
Quand tu me tiens dans tes bras
Je ferais le tour du monde
Ça ne tourn’rait pas plus qu’ça
C’est ce que chantait Édith Piaf.
La barque de Georges Sprungli
Jeune homme, Georges se promenait en barque sur le lac d’Annecy. Il lui est arrivé de surprendre, parmi les roseaux, des baigneuses nues. Les œuvres qu’il expose à la Fondation Réal réunissent le lac, des portraits et des corps de femmes ainsi que des barques. Il serait possible de reprendre Celibidache et d’écrire « La peinture renaît à chaque instant. La vie renaît à chaque instant. » La barque invite à cette perpétuelle renaissance, à cette réinvention de soi dans une fidélité de pensée et de sensibilité. Du berceau abandonné sur les flots à la barque de Charon, que de voyages possibles !
L’ivresse du voyage
Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots
Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l’oeil niais des falots !
Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sures,
L’eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.
Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d’astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;
Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l’amour !
Rimbaud Le bateau ivre
Créer des liens
Voyager consiste à créer sans cesse des liens qui tissent l’ancien et le nouveau en un mouvement permanent de découverte.