Éric Lindor Fall
18 avril 20241997, peut-être ? Le téléphone sonne. Une voix de femme. — Vous êtes monsieur Rassat ? Le monsieur Rassat qui a été professeur à Dakar ? Je reconnais presque aussitôt la voix de Diana qui fut mon élève au lycée Van Vollenhoven de Dakar. J’y avais été très jeune professeur de français, sans aucune formation. Une sorte de dilettante motivé . Nous évoquons des souvenirs qui retissent peu à peu le fil du temps. Et puis Diana me demande si je me souviens d’Éric, Éric Lindor Fall. Comment l’oublier ? En première, ses dissertations lui valaient 17 au minimum. Jamais 20. ( Photo © Christophe Rassat)
Les autres
Je me souviens en particulier de ce sujet : « Vous reconnaissez-vous dans l’image que les adultes se font de vous ? » — Non, bien sûr, répondait Éric. Pour toutes sortes de raisons très argumentées. « Non, parce que je suis homosexuel », ajoutait-il.
Grâce à Diana, j’ai réalisé que mon ancien élève était devenu un écrivain reconnu et un artiste. Que ses dissertations méritaient des 20 que je n’avais jamais osé leur décerner.
Grâce aux autres
Bien plus tard j’ai éprouvé une immense joie, grâce à Éric. Je venais, par-delà les années écoulées, d’attribuer un 20 à la rédaction d’une élève de 6° ! Enfin ! Je me revois impatient de partager ma joie avec mes collègues en arrivant en salle des professeurs. — 20, c’est impossible ! Il doit bien manquer un accent, un point, il doit y avoir une faute d’orthographe… La basse-cour caquetait. Je fis une photocopie du devoir, que j’affichai dans le poulailler. — Ah, oh ! Tu as raison !…
Je rendais ainsi un modeste hommage à la mémoire d’Éric Fall de qui le talent était reconnu. Il me libérait. Tout comme mes deux enfants. Avant ses cinq ans, le premier se levait vers trois heures et demie, presque chaque nuit pendant quelques mois. — Papa, il y a eu les dinosaures, les chevaliers. Maintenant il y a nous. Qu’est-ce qu’il y aura plus tard ? Le second parlait de philosophie et de libre arbitre à onze ans. Il avait beaucoup apprécié, l’année précédente, Haroun et la mer des histoires, de Salman Rushdie. La transmission ne peut être que réciproque.