Frictions La bascule des vivants. Exposition
27 mai 2024Conversation avec Antoine Perez qui est l’initiateur et le réalisateur de l’exposition Frictions La bascule des vivants. 25.05 — 27.07.2024 au Point Commun, espace d’art contemporain, Cran-Gevrier. Le choix de Frictions pour le titre de cet événement fait écho à un livre d’ Anna Lowenhaupt Tsing Friction Délires et faux-semblants de la globalité.
— Cette exposition est le résultat d’un projet initié il y a deux ans avec Le Point Commun, Imagespassages, l’Ecrevis. Je voulais agir de manière collaborative, relier.
C’est ta façon de fonctionner habituellement.
On la retrouve effectivement dans mes propres œuvres. Je voulais mettre en avant des pratiques artistiques ou créatives, qu’elles soient inscrites dans un domaine artistique ou non mais qui traitent de questions de territoires, des ressources, des usages, des enjeux qui fonctionnent en interaction. J’ai organisé cette exposition en prenant les œuvres comme des matériaux…
Des œuvres / matériaux
On est un peu dans une exposition forêt.
On pourrait presque dire que l’exposition est une œuvre en soi. Je parle d’œuvres matériaux que j’oppose aux œuvres marchandises notamment par rapport à l’écologie, un thème que j’ai beaucoup abordé depuis une dizaine d’années. Nombre d’artistes abordent ces thèmes, certains de manière très profonde, d’autres pour surfer sur une mode. J’avais donc envie de montrer des travaux qui approfondissent réellement la pratique et la réflexion. Chaque œuvre invite à un univers complexe, comme des histoires à tiroirs. J’aime parler d’art épiphyte. Ce terme de biologie désigne des plantes qui poussent sur un support sans nuire à son hôte.
Interagir
C’est ce que nous devrions être nous-mêmes dans la société et dans la nature ?
Il ne s’agit pas de donner de leçon mais ce principe s’oppose au parasitisme. Je trouve intéressant que des racines mortes deviennent le substrat qui permet à une plante de se développer. Ce qui est montré dans cette exposition, ce sont des créations qui ne partent pas de rien mais d’un écosystème déjà en place. Pour vivre dans un milieu il faut, a minima, le connaître, savoir interagir avec lui. Cette exposition montre des contextes locaux, des enjeux qui y sont liés.
Ça ne sert à rien de parler du réchauffement climatique global parce qu’il demeure abstrait. Ce que Timothy Morton appelle hyperobjects sont des choses qui nous dépassent complètement, nous écrasent et débouchent sur les notions d’effondrement, de collapsologie.
Tu choisis une autre voie qui permet une forme d’optimisme ?
Nous sommes en constante évolution, comme les équilibres planétaires. Lynn Margulis parle d’homéorhésie, de fluides qui s’équilibrent de façon ponctuelle, en un mouvement permanent. Ce sont des en- jeux permanents.
Penser
Antoine Perez a conçu un livret très complet qui présente la démarche de l’exposition et les artistes qui y participent. De ce livret, une citation de Timothy Morton : « L’une des choses que la société moderne a abîmées en même temps que les écosystèmes, les espèces et le climat, c’est le fait de penser. » Nous rejoignons ici la pensée de Noam Chomsky : « La première chose qu’il faut faire, c’est de prendre soin de votre cerveau. La deuxième est de vous extraire de tout ce système [d’endoctrinement].Si nous avions un vrai système d’éducation, on y donnerait des cours d’autodéfense intellectuelle. »
Co-existence
Antoine poursuit : « L’art ne peut se contenter de vivre pour lui-même. L’indépendance de la pensée, de la création, contrairement au mythe libéral du génie solitaire, c’est le faire ensemble. La co-existence est intrinsèque à la vie, l’art n’y perd aucune autonomie fantasmée…La repésentation n’est que l’étape inachevée d’un processus à l’échelle d’une vie artistique. »
Le titre même de cette exposition en est l’incarnation : Frictions La bascule des vivants.
Les artistes invités :
Téo Becher, Kapwani Kiwanga, Marc Lathuillière, Bruno Manser-Fonds, Clara Niveau-Juteau, Alice Pallot, Johanna Perret, Stéphanie Sagot, Andrea Vamos, Nathan Willerval. Ces artistes nous font voyager de Bornéo à la Colombie, des côtes bretonnes à Sainte Soline, au Monténégro, en passant par la vallée de l’Arve, la Maurienne, la Tanzanie… pour, peut-être atterrir-amerrir-attelligencir sur la Carte de Tendre, Terre amoureuse , Férale de Stéphanie Sagot.