Enfoncer des portes ouvertes

Enfoncer des portes ouvertes

11 septembre 2025 0 Par Paul Rassat

Une critique dit de Pascal Rambert qu’il enfonce des portes ouvertes. D’où le recours parfois aux portes à tambour. La porte à ouverture automatique a aussi son intérêt. Enfoncer des portes ouvertes signifie peser de tout son poids quand il faudrait effleurer, esquisser, évoquer, allusionner. Le type qui enfonce des portes ouvertes est lourd comme un char d’assaut là où des pincette feraient largement l’affaire. Et puis, enfoncer des portes ouvertes, c’est faire un truc totalement inutile. Le truisme, la tautologie sont des variantes de la porte ouverte. Il devrait y avoir aux JO une épreuve d’ouverture de portes ouvertes, avec et sans élan, de portes blindées…

— Arrête, t’es lourd, tu te répètes.

Actrice

À propos de sa pièce Actrice, j’avais écrit : Plutôt artificiel, comme les bouquets sur scène. Le temps, l’amour, la mort la responsabilité, la liberté, le théâtre, le temps, le temps, la mort…les thèmes défilent et le temps se fige en une sorte d’ennui intéressé à attendre que la représentation quitte enfin la voie démonstrative… Finalement, l’intérêt d’une pièce dans laquelle on n’entre pas suscite une véritable réflexion sur le théâtre !

Sœurs

Voici un passage écrit à propos de Sœurs. « Quand le théâtre fait son cinéma et se donne en spectacle…«  Levez-vous ! C’est les larmes dehors, c’est la peur, c’est horrible ! « 

   Cette apostrophe au public m’a fait penser à ce petit livre d’Eric Chauvier « Les mots sans les choses », comme si nous fonctionnions de plus en plus par éléments de langage, de réalité, d’émotions, de prise de conscience. «  Levez-vous ! C’est les larmes dehors, c’est la peur, c’est horrible ! »   Tragédie du langage aussi : « Tout est impacté, comme on dit. »

« La marche du monde, tu t’en tapes. »

« Tu signes des pétitions mais dans la vie tu es un être abject. »

Architecture

Jamais deux sans trois.  Actrice  et  Sœurs  m’avaient donné la même impression qu’Architecture. Quelques mordus de Rambert m’avaient assuré que c’est normal, c’est moderne, d’où l’absence de véritable narration. Mais la narration, je m’en fiche ; Diderot était déjà drôlement moderne. Pour moi Rambert est aussi moderne que l’architecture de Portzamparc à Annecy est futuriste…dans le style années 60.

Ces trois pièces habillent de langage quelque chose dont l’existence-sous cette forme- ne semble pas nécessaire, ce qui en fait des re-présentations excentrées, excentriques.

 Ouverte ou fermée ?

Pour Musset «  Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée. » À force d’enfoncer des portes ouvertes Pascal Rambert ne risque-t-il pas de se casser le nez sur une porte fermée qu’il n’aura pas vue ?

Surconstruire

Dans Mythologies Barthes écrit « : il ne suffit pas au photographe de nous signifier l’horrible pour que nous l’éprouvions. » À propos d’une exposition :  « …le photographe s’est trop généreusement substitué à nous dans la formation de son sujet : il a presque toujours surconstruit l’horreur qu’il nous propose, ajoutant au fait, par des contrastes ou des rapprochements, le langage intentionnel de l’horreur : l’un d’eux, par exemple, place côté à côte une foule de soldats et un champ de têtes de morts… Or aucune de ces photographies, trop habiles, ne nous atteint. C’est qu’en face d’elles, nous sommes à chaque fois dépossédés de notre jugement : on a frémi pour nous, on a jugé pour nous ; le photographe ne nous a rien laissé – qu’un simple droit d’acquiescement intellectuel… »

Ça sature

Sursignifier asphyxie. Le théâtre de Pascal Rambert, par exemple, ne vit pas ; il montre et démontre dans le même temps, et ne laisse aucune place au spectateur que je suis. Il ne me laisse pas la possibilité d’être touché, de réagir, de réfléchir. Il le fait pour moi. Se commente en se déroulant. Saturant, il nous sature et nous inonde de sens plaqué sur lui-même.

Il est un peu comme ces gens qui regardent la télévision et commentent ce qu’ils voient, au cas où les autres ne comprendraient pas.

Les Conséquences

Photo © Pauline Roussille

Bonlieu Scène Nationale reçoit Les Conséquences de Pascal Rambert du 2 au 4 décembre 2025. Relevons un progrès dans la complexité. L’auteur, après avoir écrit  des titres en un seul mot, nous présente un groupe nominal formé d’un article et d’un nom. Alléchant ! Dans le texte de présentation, on relève : « Ces moments-là sont des moments ouverts, face à nous, comme des grenades prêtes à exploser. Car c’est là que les vérités fusent et transpercent. » Aller voir Les Conséquences ? Totalement maso. Ne pas y aller ? Fuir le plaisir de critiquer serait encore plus maso. Et frustrant. Le théâtre de la guerre «  face à nous » ( On n’est pas dedans ?). Avec des « vérités (qui) fusent et transpercent » !

Un chouïa de Barthes ?

Retour à Mythologies. Roland Barthes y compare « l’homme-Charlot » à d’autres productions :  « …les autres œuvres rendent compte d’une réalité politique nécessaire, mais sans force esthétique.

  Or Charlot…montre sa cécité au public de telle sorte que le public voit à la fois l’aveugle et son spectacle ; voir quelqu’un ne pas voir, c’est la meilleure façon de voir intensément ce qu’il ne voit pas : ainsi au Guignol, ce sont les enfants qui dénoncent à Guignol ce qu’il feint de ne pas voir… » À l’opposé, Pascal Rambert, c’est Afflelou, Atol, Optic 2000 et tous les autres réunis.

Espoir

Dans la programmation 2025/2026, certaines pépites sont cependant à découvrir. Bonlieu étant désormais consacré «  Pôle international de création et de diffusion » la qualité et la variété des spectacles proposés devrait s’en trouver encore renforcée.