Bouverat Pernat, entreprise familiale et innovante
5 avril 2021Une entreprise familiale
L’entreprise existe depuis 1975. Je l’ai intégrée en 86. C’est une entreprise familiale qui connaît une nouvelle étape aujourd’hui. Mes deux frères aînés ont pris leur retraite. Ma sœur et moi devenons propriétaires.
Vous avez participé à l’évolution de cette entreprise familiale.
Bouverat Pernat, le nom vient de l’association des noms de mon père et de celui de mon grand père qui était un petit artisan décolleteur. Gaston Pernat, mon grand père, avait fondé dans les années 50, avec ses trois frères Savoie Décolletage. Par la suite, ils se sont séparés. L’un a gardé Savoie Décolletage, l’autre a créé Pernat Jolivet, un autre a créé Ampère et mon grand père a créé Pernat Lepont. Jacques et Gaston, ses deux fils l’ont reprise. À leur séparation, mon père s’est associé avec son beau-père, mon grand-père maternel pour fonder Bouverat Pernat en 1975.
L’ingéniosité, une nécessité
Vous êtes donc un héritier mais vous renouvelez l’entreprise.
En 86, nous étions une TPE de sept ou huit personnes, comme la plupart de nos collègues de la Vallée, dans une démarche de sous-traitance pure. Nous étions dépendants de nos clients. À l’époque, pas besoin de faire du commercial puisqu’il y avait du travail pour tout le monde. En revanche, ce n’était pas très valorisant. Le prix du marché nous était imposé. C’était le moins disant qui l’emportait. Nous avions donc une certaine technicité, des combines pour être meilleurs que les autres mais rien n’était vraiment assuré.
Une combinaison de compétences familiales
Cette volonté d’indépendance liée à l’innovation vient de ces contraintes, des crises qui ont sévi par la suite, d’une tournure d’esprit familiale ?
C’est un ensemble. L’innovation était poussée par la nécessité au départ. On innovait sur des process pour faire baisser nos coûts en interne et améliorer nos marges. Il fallait ainsi gagner des parts de marché. Le prix n’était pas suffisamment différenciant. Nous avons travaillé sur différents process. Mes deux frères, ma sœur et moi avions la chance d’être différents et très complémentaires. D’avoir des compétences technique, technologique, commerciale, financière, managériale. Les différends venaient toujours d’une volonté commune d’avancer. En confrontant nos idées, nous arrivions toujours à trouver des compromis. C’est notre force.
Du noyau familial aux réseaux
Apparemment cette qualité d’écoute et de dialogue fonctionne aussi dans l’ensemble de l’entreprise.
De la fratrie, nous sommes passés à l’ensemble des collaborateurs. Notre organisation n’est pas pyramidale. Nous partageons au maximum notre stratégie, nous la construisons ensemble. Nos collaborateurs y participent activement et la mettent ainsi plus facilement en œuvre.
Il y a plusieurs cercles de réseaux : familial, dans l’entreprise, interentreprises comme avec Mont Blanc Industries…
La culture d’ouverture sur l’extérieur, de réseautage à travers différentes organisations de la Vallée et en dehors nous anime vraiment. Les rendez-vous des Instituts Carnot, par exemple, rassemblent tous les organismes de recherche, universitaires, le monde de l’industrie et de l’entreprise, des laboratoires… Nous y participons depuis de nombreuses années et nous nous sommes rendu compte que nous y étions les seuls de la Vallée de l’Arve.
Les rencontres à la base de l’innovation
Pour quelle raison les autres ne procèdent pas ainsi ?
Les gens ont une vision de business à court terme. La plupart de nos innovations fortes sont issues des rencontres que j’ai faites aux rendez-vous des Instituts Carnot. C’est le cas de l’insert NIDA (comme nid d’abeille). Cet insert sur matériaux composites est révolutionnaire. Pour un siège business d’avion, il faut compter trois cents inserts par siège. La méthode artisanale exige de percer manuellement le matériau, de nettoyer, de positionner un insert métallique, d’injecter de la colle qui déborde sur le support. Un séchage de vingt-quatre heures est nécessaire, ce qui monopolise des hangars. On enlève ensuite le scotch qui a permis le positionnement, on ponce. Tout ceci manuellement !
Nous avons conçu un process qui permet de percer, sertir, coller en trois opérations seulement au lieu des sept nécessaires auparavant. En faisant l’économie du temps de séchage. Finalement, le prix de l’insert n’est plus la priorité puisqu’on gagne sur tout le process.
Un nouvel esprit et une vision à long terme
Nous parlions d’ouverture d’esprit, de curiosité. Peut-être que la frilosité en matière de partage venait de la crainte de se faire voler une idée.
Les nouvelles générations collaborent davantage.
L’histoire de la céramique suit la même démarche. Toujours aux rendez-vous Carnot, j’ai rencontré cette start up grenobloise, Nanoceram, en demande d’usinage de la céramique. Je leur ai proposé de partir du savoir-faire lié au décolletage. De barres en céramique. Le projet a d’abord semblé un peu fou, personne n’y croyait. Il nous a fallu trois ans de recherche et développement, des investissements et nous en avons les fruits actuellement.
C’est un travail sur le long terme.
Nous jouons sur des projets à court, moyen et long terme. Au départ, le marché de la céramique apparaissait comme très éloigné de notre métier initial de décolleteur. Actuellement toutes sortes de perspectives incluant la céramique sous différentes formes s’offrent à nous. La pâte pour les textiles, les filtres…
Une vallée est un lieu habituellement encaissé qui donne des esprits très centrés alors que vous donnez l’image d’une vallée qui s’ouvre.
Nous avons toujours eu cette volonté d’innovation, de diversification qui nous pousse à aller voir ailleurs comment ça se passe pour pouvoir proposer d’autres solutions à nos clients. Pour cela, nous aimons aller au-delà de nos savoir-faire traditionnels.
PRECIMASK
Un point précis sur les masques. Où peut-on se les procurer ?
Pour les masques, nous sommes trois partenaires. Pracartis, le groupe HBP, bien sûr et Saint-Gobain qui nous a permis de trouver le bon compromis entre respirabilité et filtration. Ils ont mis cinquante-quatre chercheurs à temps complet pendant tout le premier confinement pour trouver une solution. Nous avons créé PRECIMASK qui commercialise les masques uniquement par Internet actuellement. Un circuit de distribution est en cours délaboration.
Le masque présente un intérêt par rapport aux virus mais aussi dans certains environnements professionnels.
Nous ne l’avons pas conçu que pour la pandémie. Il peut être utilisé pour se protéger de différentes poussières. Ses utilisations et sa conception sont tellement hors norme que les protocoles d’homologation doivent évoluer pour le valider ! L’homologation des masques ne fonctionne pour l’instant qu’avec du papier ou du tissu. Les laboratoires indépendants confirment l’efficacité de nos filtres. Il faut y ajouter l’étanchéité parfaite contrairement aux masques chirurgicaux qui ont 20% de taux de fuite, aux masques FFP2 qui en ont dix%. Et puis notre masque laisse voir le visage et permet l’interaction sociale. Il suffit de laver le masque et les pastilles de céramique pour réutiliser à volonté le PRECIMASK. Donc, zéro déchet !
Céramique, matériaux du futur et valeur ajoutée
Nous allons plus loin en matière de céramique. Il y a une forte demande concernant l’usinage des matériaux du futur. Tout ce qui est issu des céramiques au sens large, comme le nitrure de bore, en fait partie. Ce sont des matériaux très chers mais aux vertus intéressantes. Le nitrure de bore ressemble au toucher à un savon mais résiste à de très hautes températures. Nous travaillons sur les CMC, composites à matrice céramique qui présentent de très hautes résistances mécaniques. Un atelier de mille cinq cents mètres carrés sera dédié aux matériaux du futur parce que nous sommes pratiquement seuls sur ce créneau. Jamais une délocalisation à cause des coûts de production ne s’est imposée. Nous augmentons notre savoir faire ajouté pour produire ici des choses que personne d’autre ne sait faire. Nous travaillons le laiton et les matériaux du futur suivant des cycles adaptés, de quelques secondes à une quinzaine d’heures pour une seule pièce.
Liberté et ouverture de marchés
La réponse apportée à nos clients passe avant le prix et même avant la proximité. Nous venons de récupérer des marchés qui étaient passés avec les USA. Notre nouvel atelier sera essentiellement dédié à notre technique d’usinage que nous avons appelée PUNCHI (Procédé d’UsiNage des Céramiques en barre innovant), développée depuis trois ans. Nous avons fait le pari d’usiner le matériau avant cuisson, à cru, contrairement à ce qui se pratique habituellement. Nous récupérons les poudres de matériau pour les retravailler en barres. D’où économie de matière.
Comment se font les perspectives d’innovation, de développement ? Au gré des rencontres, des sollicitations ?
Nous avons une démarche proactive mais les marchés sont clairement identifiés. Associé à PUNCHI, PUNCHI COLOR travaille la colorisation. Tout le monde sait produire de la céramique noire ou blanche. La céramique colorée, en revanche, demande un savoir-faire très particulier. Nous sommes capables de produire aux quantités souhaitées des carrures de montres, par exemple. Une dizaine dont une bleue, une noire, une rose…La personnalisation est très en vogue. Le luxe est un gros marché potentiel pour nous. L’horlogerie, la joaillerie suisses sont très intéressés. Une couleur que nous avons développée a attiré l’attention d’une marque prestigieuse… Quelque chose va se faire aussi avec l’aéronautique, avec l’automobile.
Suite sans fin
La discussion passionnée revient à des aspects techniques, à des perspectives, des collaborations. Une preuve de l’esprit d’ouverture et de rencontre qui anime Louis Pernat ? La conversation se poursuit avec Christophe Chièze qui porte le projet « La Maison Forte » (Concept ART Vallée. Louis l’a invité à parler de cette initiative artistique et culturelle dont l’une des facettes est de mettre en relation une entreprise-un(e) artiste.
À suivre !