Hugo Roux rencontre Michel Vinaver et son théâtre
28 juin 2021Vinaver, auteur fondamental
Hugo Roux — Vinaver est un auteur avec lequel je voyage depuis un moment. Au lycée, l’une de mes premières représentations a été « Par-dessus bord » , travaillée avec mes professeurs du lycée Baudelaire. Ensuite à l’ENSATT j’ai travaillé la dernière pièce de Michel Vinaver, « Bettencourt Boulevard » avec Schiaretti qui était en train de la mettre en scène au TNP et qui était mon directeur de département. Je dois avouer que je ne comprenais rien à l’écriture de Vinaver. Je savais qu’il est un auteur fondamental mais je n’arrivais pas à rentrer dedans.
Un auteur qui ne prend pas parti (apparemment)
En relisant « Les Coréens » j’ai commencé à saisir l’intérêt de cette écriture. J’ai rencontré Vinaver à Paris il y a quelques semaines. Une rencontre très importante qui m’a bien bousculé. Son parti à lui est de n’en prendre aucun. Cette approche est peut-être plus commune aujourd’hui. Elle était très audacieuse à l’époque, notamment sur cette pièce des « Coréens ». Elle traite de la guerre d’Indochine que Vinaver a transférée en Corée pour pouvoir parler en France de cette guerre. Il y présente un corps expéditionnaire de cinq soldats français qui se baladent dans les jungles coréennes. Il est important de savoir que ce sont des volontaires. On y voit un village coréen pris en tenaille entre l’armée du nord communiste et l’armée occidentale. Le village en question doit régulièrement changer d’allégeance. La pièce montre toute la violence du colonialisme qui ravage tout.
Le pari de l’intelligence
Intelligence de l’écriture
Lors de notre rencontre, Vinaver m’a dit qu’il se faisait taper dessus par les deux camps. Par la gauche qui disait « Ça ne dénonce pas assez le colonialisme. Les soldats ne sont pas assez violents. Vous ne les traitez pas comme des salauds. » La droite lui reprochait « Vous donnez une image détestable de la France alors qu’elle apporte la culture. » Ceci montre que la ligne choisie par Vinaver est d’une finesse incroyable, vraiment ténue. Il se contente de donner à voir sans désigner, sans étiqueter. C’est ensuite à chacun de voyager dans le texte et de se faire son opinion. Cette leçon est capitale pour mon travail de mise en scène en général. Je donne à voir et chacun y projette ce qu’il a envie d’y projeter. Je n’ai pas à asséner une morale ou une vérité quelconques, même sur ce genre de sujet.
Intelligence du public, esprit de Gabriel Monnet
Il y a une forme d’intelligence à laisser le public se faire son opinion plutôt que de le diriger. On ne le gave pas comme des canards.
On évite la démarche qui crée des frictions, une culpabilisation. Pour revenir aux « Coréens », des coupes importantes s’imposent pour entrer dans le cadre d’une heure de représentation. J’ai travaillé dans l’esprit de Gaby Monnet. Cinq comédiens professionnels incarneront le corps expéditionnaire français. Des amateurs adultes seront les villageois adultes coréens, des scolaires incarneront les enfants du village. Quatorze acteurs seront ainsi rassemblés pour cette création. Si le temps le permet, on jouera dans la cour du château d’Annecy, comme ça aurait dû avoir lieu à l’époque.
Ce qui n’a pas pu se faire.
Vinaver gênait et énervait tout le monde. Il n’a eu aucun soutien. Michel Vinaver m’a expliqué que les répliques pouvaient très bien être dites par n’importe lequel des personnages du corps expéditionnaire qui forment un chœur. Il les a déshumanisés alors que les villageois coréens sont très individualisés à travers leurs désirs, leurs projections personnelles. La pièce montre l’humanité dans ce qu’elle a de meilleur et de plus moche.
Tisser des liens de qualité qui impliquent le plus grand nombre
En partant de faits historiques, en les transposant, Vinaver atteint le cœur de l’humanité qui peut toucher chacun. Il faut se rappeler que des représentants du Peuple français proposaient en 2005 un décret pour rappeler « L’œuvre positive de l’ensemble de nos concitoyens qui ont vécu en Algérie pendant la période de la présence française… »
Notre ambition est d’entrer totalement dans la violence du texte des Coréens. Vinaver est un auteur fondamental. Il a été monté par les plus grands metteurs en scène, dont des gens très différents. Alain Françon, Christian Schiaretti, Roger Planchon…De grandes figures de la mise en scène contemporaine. Chacun dans des axes de travail très différents avec pour seul point de convergence Michel Vinaver qui propose aussi un vrai travail sur la langue. En entrant dans l’œuvre de Vinaver, je trouve un axe essentiel pour mon travail actuel et à venir. « Les Coréens » sera un hommage mais bien plus. Le cadre, la cour du château, Gaby Monnet, c’est une multiplicité de liens et de rencontres en même temps. Il faut montrer que le populaire n’est pas le nivellement par le bas.
— La photo de Michel Vinaver a été prise par Henri Odesser.