L’économie, l’ordre, le discours et la sodomokinésie
20 août 2021Cette réflexion sur l’économie fait suite à une lecture très libre de 3 pages écrites par Gaël Giraud, publiées sous le titre De l’économie dans l’ouvrage collectif Relions-nous !
L’économie système clos
Si l’on considère que l’économie est un système clos, celui-ci fonctionne naturellement en recherche d’équilibre. Déréguler, laisser faire le système permet alors à la fameuse loi du marché de jouer pleinement son rôle. Ainsi pensée, l’économie comporterait sa propre dimension morale. Ceux qui en tirent bénéfice le doivent à leurs efforts, à leur mérite, à leurs capacités d’adaptation. Ceux qui subissent sont coupables d’incompétence, de paresse, d’inadaptation alors qu’il suffit de se lever tôt et de traverser la rue. En système clos, rien ne se perd, tout se transforme. Ça ruisselle en milieu clos et ceux d’en haut arrosent généreusement ceux d’en bas suivant le principe des vases communicants. D’où l’intérêt de la communication ! L’avantage du système clos est qu’il fait l’économie de la morale. C’est comme ça. Ça ne peut pas être autrement.
Système ouvert
Si l’on fonctionne en revanche en système ouvert, celui-ci est alimenté par la matière et par l’énergie qu’il consomme. Il en dissipe une partie, crée pertes et déchets. Le modèle « rien ne se perd, tout se transforme » n’est pas valide. La monnaie n’est plus un élément neutre mais un outil dont la destination peut être orientée, détournée pour le profit de quelques uns. Il y a responsabilité et morale. De quoi faire un beau sujet de philosophie au baccalauréat.
Mais puisque je vous dis que ça ruisselle !
Avant que ça ne ruisselle, il a bien fallu alimenter les sommets sur lesquels campent admirablement les premiers de cordée. Il a fallu amorcer la pompe à capitaux, devises, actions, rentes et rémunérations. Sans oublier les jetons de présence. Comme il faut plus d’énergie pour gagner de l’altitude que pour en perdre, une partie de l’énergie n’est pas restituée. Sans compter celle dont le produit alimente l’optimisation fiscale !
Ça ruisselle des cervelles et sous les aisselles
« La théorie du ruissellement économique, un conte pour enfants voulant que l’enrichissement des plus riches rejaillisse inévitablement sur l’ensemble de la communauté, a beau être combattue de toute part, des experts universitaires continuent de la professer de manière tapageuse, faisant de cette prémisse l’objet d’une foi. Si les météorologues prédisaient de la pluie aussi souvent que les économistes nous annoncent cet imaginaire ruissellement mondial des richesses, on aurait tôt fait de s’en détourner. Cette stupidité nous occupe le cerveau au point que l’on voit encore les riches comme ceux qui créent une richesse dont on attraperait une menue part à notre compte, plutôt que de les considérer comme ceux qui la ponctionnent à notre détriment… » La médiocratie Alain Deneault
« Une place pour chaque chose, chaque chose à sa place«
Nous sommes des électrons dansants
Et pourtant ! « Dans la mécanique quantique, aucun objet n’a de position définie, si ce n’est lorsqu’il se heurte à quelque chose d’autre…..Il y a pire : ces sauts par lesquels chaque objet passe d’une interaction à une autre ne se produisent pas de manière prévisible, mais au hasard. Il n’est pas possible de prévoir l’endroit où un électron réapparaîtra. » C’est ce qu’écrit Carlo Rovelli dans Sept brèves leçons de physique…. « Nous », êtres humains, sommes avant tout le sujet qui observe le monde, les auteurs, collectivement, de cette photographie de la réalité…Nous sommes les nœuds d’un réseau d’échanges…dans lequel nous nous passons des images, des outils, des informations, de la connaissance. »
Nous regardons le monde et en faisons partie
« Mais du monde que nous voyons, nous sommes aussi partie intégrante, nous ne sommes pas des observateurs extérieurs. Nous sommes situés en lui. …Nous sommes faits des mêmes atomes et des mêmes signaux de lumière que s’échangent les pins sur les montagnes et les étoiles dans les galaxies… »
L’ordre serait-il le véritable opium du peuple
Une place pour chaque chose et vive les nationalismes. L’écriture même est un exemple de cette chorégraphie permanente dont nous faisons partie. Souvenir de ce journaliste étonné que son écrivain d’interlocuteur soit emporté par ses personnages. Que ceux-ci lui échappent. L’écriture est cependant le point de rencontre mouvant des idées (imagination, pensée) et des mots. Les idées ne naissent pas par génération spontanée. Un flux les porte, que nous portons aussi. Les mots préexistent à l’usage que chacun en fait. Ils nous forment, nous les formons. En somme, ce que nous produisons nous crée autant que nous le créons. Réduire l’économie, l’écriture, la pensée à un système clos, c’est les faire entrer dans son propre système et dans sa conception limitée du monde. C’est se fermer plutôt que de s’ouvrir au monde.
L’ordre imposé par l’économie
La prévalence du discours
« Au fond, l’économie parle d’argent. Les riches, les puissants, les princes ont tout de suite compris l’intérêt d’avoir autour d’eux des bavards de l’argent, au-delà de leur intendant, 1) pour mieux le récupérer à leur profit ; 2) pour en causer à ceux qui n’en ont pas, la majorité des humains… En fait, il n’existe pas « une » réalité économique : la réalité économique est à la fois construite et négociée. Elle est le produit de luttes, de conflits. » Bernard Maris Petits principes de langue de bois économique. Les différentes réalités s’expriment à travers le langage employé : pauvres/ chômeurs/assistés…Travail partiel ou chômage partiel. Terroristes ou Résistants.
Ordre et discours
« L’ordre est le discours lui-même, selon la tragique hypothèse de Barthes, écrit Bernard Maris. Si l’on croit à la nature des choses, à un ordre extérieur, on fait implicitement l’hypothèse que Dieu (la Divinité, la Nature, le Grand Architecte…) est non seulement la source mais aussi le garant de tout savoir. » Et c’est ainsi que les premiers de cordée ruissellent. Que nous sommes dans un monde où…face à la réalité et que l’on rêve d’être en capacité de pouvoir changer de logiciel, casser les codes et bouger les lignes. Pendant ce temps, les mouches tentent d’échapper à la sodomokinésie.
L’économie est-elle un jeu à somme nulle?
Ce serait le cas si on la considère comme un système fermé. Sinon, il faut alimenter sans cesse l’appareil qui détruit des richesses pour en produire d’autres. Toujours plus. Les véritables producteurs sont alors les plus pauvres qui travaillent toujours plus afin de réduire leur endettement chronique. Ils enrichissent ainsi les possédants et portent bien plus qu’eux le poids de la dette sur les épaules. Si l’économie envisagée ainsi n’est pas un jeu à somme nulle, elle est un « jeu » plutôt nul humainement et moralement.