Le MOF Philippe Rigollot,goûte l’art de vivre annécien
11 octobre 2021Place Volland, Philippe Rigollot nous reçoit à sa boutique dont les moineaux du coin apprécient la terrasse. Ils y chipent ce qu’ils peuvent des pâtisseries d’un MOF! Celui-ci est souriant, affable et parle de son métier avec passion et naturel. (Photo © Gilles Camillieri)
Pâtisseries de saison
Vous avez réalisé un livre qui s’intitule Pâtisseries de saison. On entend de plus en plus parler de saisonnalité en cuisine. Cette notion intervient aussi en pâtisserie ?
J’ai voulu retransmettre un peu de ce que j’ai acquis en restauration. Après avoir appris le métier en boutique, en région parisienne, j’ai travaillé douze ans en restauration. Un peu plus d’un an et demi chez Frédéric Anton, au Pré Catelan et dix ans chez Anne-Sophie Pic. Chez Pic, on changeait quatre fois la carte chaque année pour suivre les saisons. En m’installant j’ai voulu marquer deux saisons, automne / hiver et printemps / été.
Il y a réellement un changement de produits ?
En partie. Les incontournables de la maison sont proposés toute l’année, d’autres tournent. Nous sommes actuellement dans la dernière semaine des fruits rouges, par exemple en ce début d’octobre. On va passer sur les agrumes, les poires…
Chocolat presqu’à l’infini
Vous adorez travailler le chocolat. Vous savez combien de variétés vous en utilisez ?
Beaucoup ! La palette de propositions, d’origines de variétés est si importante maintenant ! Je travaille en grande majorité avec Valrhona. Le lien s’est fait naturellement lorsque j’ai travaillé chez Anne-Sophie Pic, c’est juste à côté de Valence.
On parle de crus pour le chocolat comme pour le vin et la région propose de bons Côtes du Rhône.
C’est une région difficile, on y mange bien, on y boit bien.
Annecy, de MOF à MOF
Vous semblez y avoir beaucoup souffert ! Qu’est-ce qui vous a conduit à Annecy ?
Le hasard. Je ne voulais pas faire ma vie en restauration. Ma femme, qui est pâtissière, non plus. Nous nous sommes connus chez Le Nôtre. On a regardé une ville qui pourrait nous plaire en Rhône Alpes. On est venus à Annecy une fois, une deuxième fois. Pas mal ! Belle région ! Et puis quelqu’un me parle de Paul Collet, Meilleur Ouvrier de France, qui vendait sa boutique à Annecy pour partir à la retraite. Paul Collet m’avait d’ailleurs noté lors d’une épreuve du MOF que j’ai eu en 2007, avant la finale. Nous nous sommes tout de suite entendus et un lien fort s’est créé.
Photo © Gilles Camillieri
Retour en 2007, le fameux concours du Meilleur Ouvrier de France
Les liens forts, vous connaissez. Lorsque vous cassez votre pièce principale en finale du MOF, tous les examinateurs sont là pour vous pousser vers le meilleur.
Le moment a été très difficile mais on se rend compte que les MOF qui sont là pour accompagner, pour conseiller ont fait leur travail. Ils m’ont dit de continuer, de finir. Heureusement qu’ils m’ont poussé ! Ce sont les épreuves précédentes qui m’ont permis de décrocher le titre. Il fallait produire une pièce pour ne pas avoir de note éliminatoire ! Ce concours m’a montré que j’étais fort moralement. Je le dois à mon coach Gérard Gautron. Il m’a toujours préparé de cette façon. J’ai toujours fait des concours.
Les concours forment la jeunesse !
Pour quelle raison participer à des concours?
C’est un entraînement naturel. Chez Le Nôtre, j’ai vu des MOF, des gars qui font des concours. Ils font de belles pièces, ils travaillent le sucre, le chocolat. On les suit. J’ai fini dernier à mon premier concours ! J’y étais allé sans conseils, je me préparais chez mes parents. Comme le directeur de l’école Le Nôtre présidait ce concours, ma place de dernier m’a ouvert les portes de cette école. Le président du jury m’a demandé pourquoi je n’avais pas demandé de conseils, on m’aurait accompagné. J’ai répondu que je voulais voir où j’en étais. J’ai vu ! J’avais vingt ans.
L’esprit d’équipe
Ce monsieur a aussi été un entremetteur puisque c’est à l’école Le Nôtre que vous avez rencontré votre épouse. MOF, c’est un col tricolore et une tête au-dessus. C’est en réalité un travail d’équipe.
Le MOF est un concours personnel mais on emmène toute la famille. On passe deux ans coupé du monde. On ne pense qu’au concours, à faire des essais, à faire le meilleur sinon à être le meilleur. Ce qui m’a fait le plus mal lorsque j’ai cassé ma pièce, c’est que je pensais à toutes les personnes qui croyaient en moi, qui devaient venir voir le buffet. Mon premier maître d’apprentissage en faisait partie.
Le souci de la perfection
Vous vous en êtes remis apparemment.
Grâce à ce film. Il m’a fait beaucoup de bien. Philippe Urraca, le président du jury, m’a rassuré. Les notes des épreuves précédentes m’assuraient le titre. Mais je me souvenais des buffets des MOF que j’allais voir quand j’étais gamin. C’était magnifique ! Mon buffet était joli…mais la pièce en sucre ne ressemblait pas à ce que je voulais. Je ne l’ai pas pris en photo,. Je ne voulais plus le voir ! Mes enfants, encore tout petits, avaient vu mes entraînements. L’un d’eux me demande « Papa, ils sont où les mariés ? » Le film la montre entière, cette pièce. Pas longtemps mais on la voit. On voit aussi qu’elle tombe ! Je pensais que personne n’avait vu ma pièce terminée et intacte et, grâce à ce film, des millions de personnes l’ont bien vue.
Héros malgré lui
C’est une dramaturgie extraordinaire. J’avais vu cet enregistrement il y a des années. Je l’ai revu avant de vous rencontrer. On ressent une profonde émotion.
Au départ, je ne devais pas faire partie de ce film.
Je croyais que le scénario était écrit et que vous avez fait exprès de casser votre pièce ! (rires partagés).
Les gens qui filmaient suivaient deux personnes. On ne les avait pas vus dans notre laboratoire pendant les deux premiers jours de la finale. Quelqu’un a dû les aiguiller et leur dire qu’il se passait quelque chose d’intéressant à suivre. Sur les six candidats que nous étions dans notre laboratoire, quatre sont devenus Meilleurs Ouvriers de France. Ils ont planté leur caméra chez nous et…(rires)
…On ne vous a jamais proposé de rôle au cinéma ?
Non. Ça a été un moment très difficile.
Le bien vivre annécien
Après ces péripéties, vous voilà à Annecy. La ville a une vraie tradition chocolatière.
À Annecy et dans la région. Notre installation ici a du sens. Au fil des années on sent une culture du bien manger, de vivre bien. Les chefs étoilés, le terroir y contribuent. Les gens prennent le temps. Je n’étais pas habitué aux salons de thé. Ici, dans n’importe quelle pâtisserie ou boulangerie, il y a une ou deux tables. Les gens se posent, prennent leur café, leur sucrerie.
Tendances et identité
À feuilleter votre livre, je me suis demandé comment évolue la pâtisserie. Avec l’arrivée de nouveaux produits ? Je connaissais le yuzu, j’ai découvert le jus de sudachi. Comment se crée l’équilibre entre ce qui est nouveau et la tradition ? Comment marquez-vous votre identité ?
Grâce à mes titres, j’ai pu voyager, connaître d’autres pays, surtout en Asie. C’est l’occasion chaque fois de découvrir des agrumes, des poivres. Je les intègre avec parcimonie parce qu’il ne faut pas bousculer les goûts et les habitudes. Je les introduis dans une pâtisserie classique à laquelle ils apportent une touche de nouveauté.
Garder l’équilibre
Je sors le plus souvent mes créations en gâteaux individuels. Lorsqu’il y a un gâteau comportant plusieurs parts, il faut penser aux enfants, aux différentes générations, alors on va sur le chocolat, sur le framboisier, un gâteau aux fruits exotiques. Il y a aussi le gâteau du weekend. On y tente des mariages. J’ai intégré toute mon équipe dans cette logique. De l’apprenti jusqu’à moi, chacun peut proposer une idée pour cette pâtisserie du weekend. Ça peut être une viennoiserie, un petit gâteau ou un gros, une confiserie. Je garde le dernier mot parce qu’il ne faut pas de cassure entre ma vision de la pâtisserie et une proposition ponctuelle. Il y a eu des propositions que j’ai gardées par la suite parce qu’elles avaient plu aux clients.
Faire aussi gourmand que joli
Comment voyez-vous l’évolution de la pâtisserie depuis que vous êtes dans le métier ?
On est passé par beaucoup de choses. Des gâteaux bijoux pour lesquels le visuel était très important et prenait presque le dessus. Je n’ai jamais vraiment suivi cette voie. M. Le Nôtre-ça m’avait marqué, il parlait des produits de base. Le beurre, la bonne crème, le bon lait, le bon chocolat, les bons fruits. Il disait « En partant avec de bons produits, on ne peut faire que du bon. » À condition, bien sûr, de respecter les équilibres. Dans la vitrine, les gens choisissent en fonction du visuel. Il faut faire joli, c’est certain.
Retrouver la patte du chef
Il faut faire gourmand aussi. C’est difficile à expliquer à un jeune qui fait un concours. On peut avoir tous les moules qu’on veut, des glaçages superbes, mais il faut retrouver la patte du chef. Je me suis toujours inscrit dans les belles pâtisseries goûteuses et plus légères en texture, en crème, en sucre. Entre mes premières recettes réalisées en apprentissages et aujourd’hui, il y a quinze à vingt pour cent de sucre en moins. Je garde juste ce qu’il faut pour enrichir le goût.
Chercher à faire toujours mieux
J’ai rencontré Laurent Petit récemment. J’avais quelques livres qu’il a réalisés. À propos de l’un d’eux, il a déclaré « Ça, je ne le referais pas ! » Et puis il a précisé « Je ne le referais pas comme ça parce que je ne suis pas allé assez loin. »
Je sors deux cartes par an. Je regarde souvent ce que j’ai fait l’année d’avant et je me demande si j’ai été jusqu’au bout. Si je ne peux pas faire mieux. Parfois non, je n’y arrive pas. Et , surtout, je fais goûter à ma femme ! J’essaye toujours d’évoluer. Je ne m’endors pas sur mes recettes. On peut d’ailleurs en retrouver un certain nombre dans mon livre. Autrefois les chefs gardaient leurs recettes secrètes. Parfois on allait jusqu’à séparer les tâches au sein du même laboratoire pour protéger la recette ! Seul le chef faisait les mélanges.
Le travail en restauration ou en boutique
Au départ, le pâtissier était celui qui travaillait la pâte. Il faisait aussi des pâtés, des tourtes. Vous n’êtes pas tenté par le salé ?
Je suis têtu. Après mon CAP pâtisserie, ma mère voulait que je fasse un CAP cuisine. Je ne voulais absolument pas travailler en cuisine. J’ai cependant accepté d’essayer au Pré Catelan. J’y ai découvert le monde de la restauration, les difficultés qu’on y vit.
Des organisations différentes
En boutique, on travaille de cinq heures du matin jusqu’à treize heures. Ensuite on est libre de son temps. En restauration, c’est de huit ou neuf heures à quinze ou seize heures et de dix-huit heures jusqu’à minuit ou une heure. Chez Anne-Sophie Pic le challenge était différent. Je partais d’une page blanche, on montait une équipe. Ma femme et moi avions à peu près les mêmes horaires. Les choses sont devenues plus compliquées quand nous avons eu les enfants. La restauration a été une vraie formation. J’y ai travaillé avec des cuisiniers qui font parfois des choses à la minute. Ils ouvrent le frigo et disent « On va faire ça, ça et ça. » Je ne sais pas le faire !
Salé ou sucré ?
L’approche de la pâtisserie est au gramme près. Il faut être un peu chimiste, non ?
Un petit peu. Des copains cuisiniers me donnent leurs bouquins. Quand je les ouvre, je suis perdu. Les photos sont belles mais quelle taille doivent avoir les oignons, les carottes ? Il n’y a pas toujours le poids. Je me base plus sur les livres de charcuterie. Les poids, les temps de cuisson sont précis. Tout est grammé. En pâtisserie, on a aussi une formation de traiteur. Quand j’ai passé mon CAP, on devait travailler un peu de salé, les tourtes, les quiches, les pâtés croûte. Pour le MOF, j’ai dû réaliser des sandwichs. Mon prédécesseur, M. Collet, faisait un pâté croûte, j’ai repris cette pratique.
Photos © Gilles Camillieri
Le plaisir d’être étonné
Mais quand je vais dans un restaurant, je me fais plus plaisir à déguster du salé que du sucré. Les chefs ont repris des techniques proches de la pâtisserie et le résultat m’étonne davantage que ce que je vois en pâtisserie. Dans ce domaine je ne suis pas trop critique, je sais ce que représente la pression d’exercer dans un restaurant. Parfois j’en choisis un parce que je souhaite apprécier les desserts que j’ai vus ici ou là en photo, et je découvre la cuisine du chef par la même occasion.
[ La conversation continue car Philippe Rigollot parle de son métier avec passion et simplicité. C’est un moment de bonne humeur partagée. Je lui fais remarquer une ressemblance entre le logo de sa boutique et celui de Rolls Royce. En toute simplicité !]