Gastronomie picturale, les palettes du peintre et du cuisinier

Gastronomie picturale, les palettes du peintre et du cuisinier

28 novembre 2021 Non Par Paul Rassat

Dans le livre coréalisé avec Annie Caen, Musée Gourmand, Le peintre et le cuisinier, Marc Meneau rapproche l’art et la gastronomie. Naît de cette fusion une « gastronomie picturale ».

L’intuition et l’imagination partagées

 « Avant que naisse l’idée de faire ce livre, je ne m’étais jamais vraiment rendu compte que, devant son fourneau, le cuisinier peignait véritablement des tableaux de cuisine ! Je crois en fait qu’en pénétrant dans son atelier, il ressent la même émotion que le peintre devant sa toile blanche.

Là où les parfums répondent au bruit des casseroles, le cuisinier caresse une belle volaille de Bresse, il pare, découpe, farine. Entre ses mains le blanc devient safran, puis châtaigne, la crème liquide s’épaissit, la sauce prend la couleur blé d’or. D’un trait de crème rose de homard, il réchauffe le brun piquant de l’oursin ; il accorde lignes et volumes, compositions et proportions.

L’intuition et l’imagination qui caractérisent si parfaitement le peintre sont aussi les aiguillons de son inspiration. » (Extraits du livre de Marc Meneau).

Gastronomie picturale : Ronde d’accords

En regard de la recette  Soupe aux œufs, asperges en cigarettes, le livre affiche La Botte d’asperges, de Manet. Matisse contribue, avec Nature morte à la citrouille, à enrichir le Lait de noisettes au potiron. Nature morte aux melons et aux poires, de Luis Meléndez, chante avec Melons confits au sel. La Meurette d’anguilles accompagne Les marchands de poissons, de Frans Snyders. Brueghel  le Jeune, Chardin, Louise Moillon, François Bonvin, Cézanne, Picasso et d’autres participent au festin pictural et gastronomique.

Associations très libres entre mets et œuvres d’art, par Talpa

Talpa aime bien creuser afin de trouver de nouvelles voies. La taupe fonctionne parfois en associations très libres. Voici ce que lui suggère Le Peintre et le Cuisinier.

Arcimboldo

Avec Arcimboldo, les produits de saison s’imposent. Il ne faut pas chercher à suivre une idée préétablie mais il convient de se laisser aller à la saison, au terroir en toute simplicité. Arcimboldo a créé le concept qui consiste à cuisiner avec les produits du marché.

Botticelli

Botticelli est un cas particulier qui nécessite beaucoup de fraîcheur. Le plat qui s’accorde le mieux à son œuvre est certainement la coquille Saint-Jacques aux petits légumes de printemps. La pêche du mollusque et l’arrivée sur le marché des légumes primeurs ne laissent que quelques semaines …mais quelle légèreté, quelle finesse en bouche !

Sophie Calle

Inspirons-nous du régime chromatique de Sophie Calle,  menu entièrement orange le lundi, rouge le mardi, blanc le mercredi, vert le jeudi, jaune le vendredi, rose le samedi, multicolore le dimanche pour proposer un éventail dominical rassemblant tous les plats de la semaine

Entrées

Surimi, salade de tomates, tête de canut, asperges, poivrons jaunes, saumon froid

Plats

Paëlla, homard en carapace, blanquette, viande sauce persil, frites /poulet vin jaune, jambon braisé

Desserts

Orange, fraises, petit suisse, glace pistache, abricots, framboises

Boissons

Soda, vin rouge, blanc de blanc, sirop de menthe, Orangina, vin rosé

Mélanger un peu de chaque plat afin d’obtenir une assiette polychrome  pour les entrées, les plats, les desserts. Composer un cocktail avec une dose de chaque boisson.

Carpaccio

Contrairement à ce que la facilité suggère, éviter le carpaccio avec Carpaccio dont l’œuvre impose la brochette, évocation moderne des lances guerrières qui construisent certains de ses tableaux.

Cézanne

Des pommes, bien sûr et des oranges. Pourquoi pas une tarte aux pommes recouverte après cuisson d’une mousse à l’orange ?

Avec un vin de la Sainte Victoire.

Dali

Avec Dali, penser avant tout à de la nourriture molle, flasque, à déguster allongé, version Rome antique, dans une pièce surchauffée.

Marc Desgrandchamps

En référence à « Fragments d’un modernisme aléatoire », installer un distributeur de plats réalisés suivant les canons de la cuisine moléculaire et délivrés de manière totalement imprévisible, le client ou l’invité étant dans l’impossibilité de deviner ce qui lui sera proposé.

Fred Deux

Concocter un plat mêlant intimement tripes et cervelle, le plus léger possible afin d’éviter ballonnements et indigestion et de favoriser  en revanche une di-gestion tête/appareil digestif, celui-ci étant considéré comme notre 2°cerveau qui nous permet d’assimiler des connaissances, de digérer des nouvelles et de déféquer notre incompréhension.

Edward Hopper

Un thé ou un café, à l’évidence. À moins de proposer de la nourriture pour poisson d’aquarium. Poisson rouge basique baignant dans la lumière artificielle d’un monde post moderne comme les pré- post modernes humains que nous sommes baignent dans le liquide commun de la mondialisation et de la globalisation d’une réalité augmentée, enrichie aux amphétamines de la pub. Bien doser la ration.

Henry Michaux

Les champignons semblent s’imposer. Hallucinogènes de préférence ? Que nenni !

Rappelons-nous ce passage extrait du  Grand combat  « Il le pratèle et le libucque et lui barufle les ouillais ». Dans ce texte, Michaux enfile les néologismes comme d’autres des perles, des perles de néologismes en réalité, et il est possible, après analyse et réflexion, de considérer que les « ouillais » sont une sorte d’oreille qui remuent quand on dit violemment « oui » en remuant la tête de gauche à droite ou de droite à gauche en fonction de ses opinions politiques, à moins que ce mouvement alternatif ne soit provoqué par l’administration de baffes monstrueuses version Obélix versus Romains.

Être tout ouïe

   Ainsi, avec l’ami Michaux s’imposent des oreilles, de porc pour certains, d’autres animaux pour d’autres, selon leurs opinions religieuses. Mais des oreilles attendries suivant la méthode utilisée pour attendrir le poulpe. Il ne s’agit donc pas de prêter les oreilles ou de dormir sur ses deux mais de les frapper violemment et de manière répétitive sur un support résistant jusqu’à ce que tendreté s’ensuive. Faites alors chanter les oreilles dans un filet de matière grasse portée à haute température et laissez mijoter dans une sauce de votre choix qui gagnera cependant à être relevée.

À bon entendeur salut !

Picasso

Fraises Tagada pour la période rose, à déguster en salopette bleue. Improvisation totale pour le reste de sa production.

Pollock

Chiffonnades en arabesques confuses de charcuteries, viandes, fruits et légumes mêlés en un mouvement dénué de toute géométrie.

Soulages

L’œuvre de Soulages demande un peu de préparation gastronomique. Capturer une quantité non négligeable de cafards que vous ferez sécher. Broyez-les finement. Saupoudrez de ce noir broyé les mets que vous offrirez à vos hôtes. Mieux encore.  Garnissez des moulins à cafards d’insectes séchés et invitez vos hôtes à broyer eux-mêmes du noir et à en décorer leurs assiettes.

Van Gogh

Mélanges d’alcools forts avec un soupçon de curaçao bleu.

Vermeer

Contrairement à ce que pourraient laisser imaginer certaines publicités, Vermeer mérite mieux qu’une association avec les produits laitiers. Le jaune éclatant de la tarte au citron s’impose avec ce peintre proustien.

Léonard de Vinci

Qui dit Léonard dit Joconde, ce chef d’œuvre réalisé à partir de rien, d’un sourire impalpable. Le soufflé correspondrait parfaitement au sourire de la Joconde, léger, insaisissable et pourtant si présent.

Remarque

Eviter les associations trop évidentes avec des artistes comme Boucher, Boudin, Bacon, Millet, Poussin, Dubuffet ou Le Parmesan.

Suggestions de Lucie Cabanes (chargée d’art contemporain au château d’Annecy)

« Alors… je dirais

Un carpaccio devant Bacon

Une crème brulée pour Cy Twombly ou une pana cotta… mais c’est sûr, c’est un dessert onctueux…et on mange avec les doigts devant du Penone ».