Nicolas Pétrimaux « Il faut flinguer Ramirez » volume deux

Nicolas Pétrimaux « Il faut flinguer Ramirez » volume deux

6 décembre 2021 Non Par Paul Rassat

Rencontre avec Nicolas Pétrimaux en dédicace chez BD Fugue Annecy pour Il faut tuer Ramirez II.

De l’aspirateur au psy

[La discussion part d’une publicité que j’ai apportée. Elle vante les mérites d’un aspirateur qu’elle met en parallèle avec un athlète nu.]

Elle me fait un peu penser à une pub que j’ai détournée de un homme et une femme, ou une pipe, je ne sais plus très bien…

Nous avions terminé l’interview précédente sur cette question. Je vous demandais si vous voyiez un psy. Vous m’aviez répondu « Pas encore ».

Toujours pas. Je pense que c’est mon éditeur qui fait ce job. Je suis bien entouré.

Faire exploser les codes

Vous aviez dit aussi que vous avez plaisir à faire exploser les cases. En réalité vous faites exploser le récit tout entier. Assez vite je suis perdu, allégé de la narration et je regarde les dessins, les enchaînements qui m’emportent. Une musique se crée.

La plupart des retours confirment ce que vous dites. Il arrive que certains lecteurs ne prennent pas le train en marche. Comme je détourne certains codes, la lecture gauche-droite, par exemple, le rail à suivre est constitué par les bulles et leur disposition. Pour certains, c’est naturel, d’autres ne se laissent pas porter. Ils recherchent la norme, d’où un conflit entre les règles de la BD classique et ce qu’ils lisent. En général, les lecteurs apprécient parce que c’est fluide.

Déconstuire pour inventer sa propre musique

En philosophie, Jacques Derrida a repris la notion de déconstruction. Certaines féministes déconstruisent le modèle patriarcal, vous, vous déconstruisez le récit.

Ça vient sans doute de mes influences. Le manga quand j’étais ado. La BD franco-belge, puis le comix. J’ai fait des pages de BD par centaines. J’ai essayé d’explorer tous les codes et Ramirez est une fusion de tout ça. Ce n’est pas vraiment un nouveau style de narration…

Mais votre musique personnelle.

C’est ma propre partition. Je raconte l’histoire que j’aimerais qu’on me raconte.

Privilégier la curiosité

Justement, quel lecteur êtes-vous ?

Quand je rentre dans une librairie, je peux me laisser porter par le conseil de quelqu’un. Hier je suis passé chez mon libraire à Lyon. Je suis reparti avec des choses assez différentes. Un bouquin sur Jacques Brel, un Mathieu Lauffray, un Sean Murphy, un Pénélope Bagieu. Beaucoup de formes de narration m’intéressent. Chacun a sa propre musique, effectivement. Je ne me nourris pas que d’une seule approche.

Musique toujours, et rythme

Nous parlions de musique, donc de rythme. Les gens attendent d’ailleurs impatiemment le 3° tome. Ramirez ressemble à un marathon au rythme d’un 100 mètres.

Délivrer l’acte II en ce laps de temps a été un challenge que je n’ai pas envie de refaire. Trop douloureux ! La narration ne ralentit pas bien qu’elle soit conçue en trois livres. Je pense trouver à un moment une sorte de petite respiration, mais je ne vais pas en dire plus.

Donner du relief à notre univers plan-plan

Un vrai Ramirez, serial Killer, a existé aux USA.

Je ne suis pas parti de son histoire. Je suis tombé dessus par la suite, en faisant des recherches. Il y a même un documentaire Netflix, un peu discutable, qui a été réalisé sur ce Richard Ramirez. Le mien n’a rien à voir. Il bosse pour un cartel et règle des histoires de gangsters.

Pourquoi avoir choisi un aspirateur ?

Je ne sais pas. J’avais réalisé un court métrage de zombies, il y a quinze ans. J’y avais calé une pub d’aspirateur. Pour mon personnage principal, c’est une couverture. Il bosse dans une entreprise un peu plan-plan. C’est comme dans The Office qui vend du papier.

Ramirez ne remplace pas, il répare !

L’aspirateur aspire, par définition. Votre personnage ne dit rien, il aspire les gens autour de lui, leurs histoires.

J’y voyais plutôt quelque chose de graphique avec le balai d’aspirateur qu’on tient un peu comme un flingue. C’est un objet que tout le monde possède, un délire qui est dans le placard de tout le monde. Les pubs qui nous le vendent sont assez extrêmes. Il y a une seconde lecture. C’est ce que fait Jacques Ramirez : il répare les choses. Il a tendance à réparer plutôt qu’à détruire. Il est discret, efficace et fait que les choses fonctionnent.

Vous êtes subventionné par des marques d’appareils ménagers ? (rires)

Bizarrement je viens d’être tagué sur Instagram pour un truc sur Dyson, il y a une dizaine de minutes.

L’esprit français

Vous travaillez beaucoup la pub «  Nos vaches sont élevées en Chine, puis éduquées en Suisse pour faire ensuite une magnifique croisière et mourir dignement »… Vous partez des USA mais vous avez la gouaille d’un Audiard, l’approche publicitaire de Jean Yanne et la musique de Boris Vian.

C’est l’héritage culture française. J’ai revu récemment Les tontons flingueurs. J’en ai davantage profité que quand j’étais ado. Je suis plus esprit Canal +. Ce que fait Michel Hazanavicius avec OSS 117. Là, les dialogues sont vraiment une partition de musique, comme s’ils avaient compté le nombre de syllabes chaque fois que Jean Dujardin dit un truc.

On a une tournure d’esprit très française d’Audiard, Jean Yanne à ce cinéma que vous évoquez.

Qu’on retrouve avec le duo Pierre Richard Depardieu.

Ouverture d’esprit plutôt que formatage

Vous aimez bien détourner, caricaturer. Dans votre magazine « Voili Voilou », vous faites une question de 50 lignes et une réponse en 10 mots.

Je me suis inspiré d’une vraie interview et je me suis contenté de pousser un peu le curseur. La question du journaliste était très longue et il n’a gardé qu’une réponse très courte qu’il avait déjà formulée dans sa question. Les journalistes formulent souvent leur question pour obtenir la réponse qu’ils attendent.

Pour le divertissement intelligent

Comment présenteriez-vous vos albums ?

C’est un pur divertissement. À partir des choses que j’ai consommées, qui font aujourd’hui partie de mes références. Die Hard est un produit de divertissement, mais tellement important ! Je me souviens d’une interview d’Alexandre Astier sur un plateau TV. On y montrait de la télé réalité du genre « Qui veut épouser mon fils ? » Quelqu’un disait « Quand je regarde la TV, je n’ai pas envie de me prendre la tête. » Alexandre Astier lui a répondu « On peut regarder un truc intéressant et intelligent sans se prendre la tête. » Ma BD comporte beaucoup d’âneries, de trucs absurdes mais elle offre matière à réflexion.

À suivre…

[ La conversation roule encore sur l’intérêt de cette approche qui suggère plutôt qu’elle ne cherche à imposer. Sur l’intelligence en arborescence qui est le dada de Talpa]

Laissons à Nicolas Pétrimaux le temps de la réflexion nécessaire à la fusion âneries, absurdités, dérision, inventivité pour produire un 3° Ramirez. Et puis, une suggestion : aujourd’hui les aspirateurs sont sans fil, comme les gens sont hors sol.