Esprit français, identité et langue

Esprit français, identité et langue

17 octobre 2021 Non Par Paul Rassat

Dans La Fontaine, Michel Serres se demande  s’il existe dans une autre langue ou une autre littérature un homme capable, comme La Fontaine, d’incarner à lui seul une culture. Partant de cette réflexion, Michel Serres définit l’esprit français.

L’esprit français

« Or et de plus, La Fontaine n’emprunte que rarement les récits de ses Fables à une tradition de langue française… ; il les adapte, au contraire, du grec, du latin, de langues orientales ou modernes, comme l’espagnol ou l’italien. Ce comble de l’esprit français découle de sources étrangères. Or cela se vérifie de presque tout l’âge classique, où Molière italianise, où Corneille, espagnol dans Le Cid, latinise dans Cinna ou Horace, où , comme Fénelon, Racine hellénise, dans Iphigénie et Andromaque avant que Bajazet passe aux Turcs…Le meilleur de notre meilleur siècle vient d’ailleurs ou d’amont. »

L’identité française

« Et, en général, une culture se construit au carrefour d’autres cultures et ne découvre son essence qu’en s’ouvrant à tous les vents. Divine surprise : ce que vous appelez identité ne se définit qu’en cumulant des altérités…Qu’est-ce que l’identité ? L’intersection d’appartenances. »

L’identité, la réalité figée et le mouvement

Bernard Maris. a écrit Petits principes de Langue de bois économique. On peut y lire « En fait, il n’existe pas « une » réalité économique : la réalité économique est à la fois construite et négociée. Elle est le produit de luttes, de conflits. Elle aboutit à des conventions économiques : les « catégories » comme le chômage, la croissance, les salaires…Les économistes, eux, préfèrent une réalité abstraite, invariable, même si elle est en contradiction avec les faits (dans ce cas, c’est le réel qui a tort, comme osa le dire un jour un prix Nobel d’économie)… En vérité, il ne faudrait pas parler de réalité économique mais d’ordre négocié.

Langue toujours, la réalité et le réel  

Puisque négociation il devrait y avoir, la langue y a une place prépondérante. Terroristes ou Résistants ? Guerre d’Algérie ou opérations de maintien de l’ordre ? Chômeurs ou assistés L’invitation de plus en plus injonctive à voir la réalité en face nous interpelle quelque part. Il n’y a pas une réalité, un peu comme l’écrit Bernard Maris. La réalité est le résultat d’un consensus de pensée. Celui-ci peut être manipulé par la langue, par les chiffres et même par les tableaux, courbes, chiffres et statistiques. C’est ce que montre Normand Baillargeon dans Petit cours d’autodéfense intellectuelle. Le réel est affaire personnelle, un peu comme la température relevée et la température ressentie. Dans cet écart entre la réalité et le réel se glissent volontairement ou non toutes sortes de confusions.

« Ma langue me parle »

Voici la première phrase de la préface écrite par Julie Neveux pour Je parle comme je suis. Ce que nos mots disent de nous. « Je parle ma langue, et ma langue me parle » Et voici un extrait de la conclusion « Notre langue travaille en nous, pour nous : elle nous exprime mieux que nous ne nous comprenons, elle nous éclaire, nous guide et nous soutient… Elle nous tend un miroir…qui ne nous sublime ni ne nous déforme, et nous permet, parfois, si on en a la force, de nous regarder bien en face. » Ceux qui nous demandent sans cesse de regarder la réalité en face se regardent-ils en face ?